01.02.2019

Affaire de corruption au service des étrangers de la préfecture : jusqu'à trois ans de prison ferme requis par le vice-procureur

L'affaire a été examinée jeudi par le tribunal correctionnel de Saint-Martin.

«Un dossier emblématique d’un système malsain», c’est ainsi que le vice-procureur a entamé son réquisitoire jeudi après-midi lors du procès de EJ, une agent de la collectivité accusée notamment de corruption passive lorsqu’elle avait été mise à disposition du service des étrangers de la préfecture en 2014. Il lui est reproché d’avoir accepté de l’argent en contre partie de la délivrance de récépissés et/ou de cartes de séjour à une douzaine de ressortissants de République dominicaine et Haïti.

«C’est un système scandaleux et je pèse mes mots», répète-t-il. «La prévenue dit que NBL (intermédiaire entre elle et les étrangers, principal autre prévenu dans cette affaire, ndlr) a abusé de sa confiance. Mais qu’en est-il de la confiance qu’on lui a accordée lorsqu’elle travaillait au tribunal à Saint-Martin au service de délivrance des certificats de nationalité française ?», s’interroge le représentant du ministère public.

«Pour elle, NBL était quelqu’un de confiance. En affirmant ceci, elle fait une insulte aux règles, aux lois qu’on essaie de faire appliquer, elle fait une insulte à ceux qui les respectent et qui obtiennent leur titre de séjour en toute légalité», poursuit-il. Tout comme l’avocate de l’Etat, il rappelle les propos du président Emmanuel Macron lors de sa venue à Saint-Martin, qui avait dénoncé «cette corruption».

«Elle ne l’a pas fait sous la contrainte, elle l’a fait pour arrondir ses fins de mois», commente Yves Paillard qui ne croit pas la prévenue lorsque celle-ci affirme n’avoir touché que 150 ou 200 euros par dossier et non un minimum de 2000 euros comme l’affirme NBL. «Il faudrait qu’elle soit un peu bête pour prendre un tel risque pénal pour n’être rémunérée que si peu», conçoit-il.

«Madame EJ risque la prison, aux quartiers des femmes», lui a-t-il répété à deux reprises en la regardant. A son encontre, il requiert une peine de trois ans de prison ferme, une amende de 30 000 euros ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer une fonction publique. A noter qu’après avoir quitté le service des étrangers de la préfecture suite à cette affaire, EJ a été réintégrée à la COM où elle travaille au service social.

«Si EJ doit entendre le mot prison, NBL doit lui entendre le mot interdiction», estime Yves Paillard. A celui qui est mis en cause par ceux qui cherchaient à avoir des papiers pour leur avoir dit qu’il connaissait quelqu’un en préfecture capable de faire avancer leur demande de récépissé ou carte de séjour et avoir récolté l’argent pour payer le service, le vice-procureur a requis une peine de dix-huit mois de prison ferme, une amende de 10 000 euros et une interdiction définitive de séjour en France. «On peut motiver une interdiction définitive de séjour en France même si la personne est parfaitement intégrée, a une résidence stable depuis plusieurs années et sa famille en France», précise-t-il. Pour ce dernier, NBL, poursuivi notamment pour corruption active, fait partie de ceux qui «exploitent la débrouille, les immigrés qui essaient de se débrouiller». NBL, natif de la République dominicaine, possède des titres de séjour valides et obtenus de manière légale depuis des années. Il est le seul des seize prévenus dans cette affaire à avoir un casier judiciaire non vierge ; il a été condamné en 2006 pour conduite sans permis et sans assurance et en 2018 pour travail dissimulé par le tribunal de Saint-Martin.

En revanche, le code de procédure pénale ne permet pas au parquet de requérir une interdiction de séjour à l’encontre des douze étrangers ayant donné de l’argent pour obtenir un titre de séjour ou un récépissé et poursuivi pour corruption active et obtention indue d’un titre de séjour. «Ce sera à la préfecture d’apprécier le renouvellement ou non de leur titre puisque certains ont été régularisés depuis les faits», précise Yves Paillard. Considérant qu’on «n’obtient pas un document en graissant la patte d’un employé» pour ensuite pouvoir «bénéficier gratuitement de soins, de l’école, des allocations», il a requis à l’encontre une peine de trois mois de prison ferme.

Enfin, il a demandé quatre mois de prison à l’encontre de la femme, une Dominicaine légale en partie française, qui avait récolté l’argent auprès d’un demandeur de papiers et l’avait reversé au second intermédiaire de l’affaire, une autre femme qui sera jugée en juin.

L'Etat qui s'est constitué partie civile, demande à l'agent de la COM et aux deux intermédaires 5 000 euros pour le préjudice subi et 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale (frais d'avocat).

Le jugement a été mis en délibéré au 21 mars.

(photo d'archive).

Estelle Gasnet