20.04.2016

Témoignage de Sonia, la maman de Liam né handicapé

Sonia a accepté de se livrer sur le combat qu’elle mène au quotidien en tant que maman d’un enfant handicapé. Elle nous parle de son combat juridique, des difficultés qu’elle rencontre au quotidien, de sa vision de l’avenir.

Votre fils, Liam, souffre notamment d’une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) due à des complications survenues lors de l'accouchement, le 11 février 2010. Fin 2015, le tribunal administratif de Saint-Martin a reconnu la responsabilité du centre hospitalier pour des erreurs commises lors de l’accouchement et vous a accordé une indemnité de quelque 242 550 euros et une rente trimestrielle de 7 211 euros. Vous venez de faire appel de ce jugement. Pour quelles raisons ?

Car j’estime que le montant de l’indemnisation est bien en dessous du préjudice subi. La rente est de 2 400 euros par mois. Aujourd’hui, certes, cette somme suffit mais qu’en sera-t-il lorsque Liam aura 18 ans ? Plus il grandit, plus sa dépendance va être grande et donc compliquée à gérer d’autant plus que je vieillis. Et je refuse de mettre Liam dans un hôpital. Si j’ai un accident, que se passera-t-il ? Lorsqu’il sera adulte, au minimum deux personnes devront s’occuper de lui à mes côtés ; c’est cette prestation que mon avocat et moi avions estimée à 21 € de l’heure, toutes charges comprises. Nous avions contacté un comptable ainsi qu’une société d’aide à la personne pour évaluer le coût avec précision et pouvoir, ainsi, présenter un devis au tribunal. Or, la rente a été fixée par les magistrats à hauteur de 10 € de l’heure, je pense qu’ils n’ont pas pris en considération les charges.

Et cela, c’est sans compter le coût de toutes les aides techniques nécessaires, l’aménagement de la maison (salle de bains, etc.) et de la voiture. A titre d’exemple, l’aménagement de la voiture coûte environ 25 000 euros. Et seule une partie de ces dépenses est prise en charge. Autre exemple, celui de la poussette de Liam, qui est adaptée à son handicap, coûte 4 000 euros et seuls 1 000 euros sont remboursés par la Sécurité sociale. Il est important de se projeter dans l’avenir et d’anticiper. La vie de Liam doit être la plus confortable possible et avec la rente telle qu’accordée aujourd’hui, ça ne sera pas possible.

Y a-t-il des chances pour que l’état de Liam s’améliore ?

Les chances sont nulles. Son cerveau a été endommagé. Il a des lésions cérébrales diffuses. Des bilans seront réalisés à certains âges pour continuer à estimer les besoins et donc la prise en charge. A 18 ans, il faudra voir aussi sa mise sous tutelle.

Vous avez accouché le 11 février 2010. A quel moment avez-vous décidé d’entamer ce combat juridique ?

Après sa naissance, Liam a été rapidement transféré en Martinique en neuropédiatrie pour des soins complémentaires et c’est là qu’un médecin m’a mis la puce à l’oreille… Il m’a demandé ce qu’on avait fait à mon fils. Un mois plus tard, de retour à Saint-Martin, j’ai demandé mon dossier médical au centre hospitalier. On m’a donné trois feuilles. Vu comment mon accouchement s’était déroulé (anomalies du rythme cardiaque du fœtus, tentative d’expulsion avec la ventouse et césarienne), je supposais que mon dossier ne se pouvait pas se résumer à trois feuilles. J’ai donc insisté et obtenu mon dossier complet.

Avec une amie qui avait des connaissances en médecine, nous l’avons lu et avons compris qu’il y avait des choses pas normales qui s’étaient passées. J’ai alors sollicité une réunion avec l’hôpital. Là, on m’a dit que je pouvais déposer plainte ou saisir la commission régionale d’indemnisation. J’ai fait le choix de prendre un avocat afin qu’il saisisse le tribunal administratif. Mais malheureusement, cet avocat n’a rien fait durant plus d’un an. Aucune démarche.

Lorsque Liam a eu huit mois, nous avons dû quitter Saint-Martin pour se rapprocher d’un grand centre hospitalier. Nous sommes donc allés dans le Nord de la France dont nous sommes originaires. Là, j’ai pris contact avec un avocat spécialisé dans les erreurs médicales. Je lui ai donné mon dossier et il a saisi le tribunal administratif de Saint-Martin.

Pour quelles raisons avez-vous voulu saisir la justice ?

J’avais besoin de savoir et de comprendre ce qui s’était passé. Bien qu’on ait voulu me faire croire le contraire, tout allait bien jusqu’à l’accouchement. Ils ont essayé de me faire croire que Liam avait déjà un problème avant de naître, que mon âge (36 ans à l’époque) avait pu causer des problèmes, etc. Après la remarque du médecin en Martinique, après la lecture de mon dossier, j’avais la certitude que tout s’était mal passé lors de l’accouchement. J’avais donc besoin de savoir quoi exactement.

Durant ces quatre années de procès, qu’est-ce qui a été le plus dur ?

Certainement les expertises médicales qui sont très longues à réaliser. Le tribunal administratif a mandaté un expert en gynécologie obstétrique qui m’a interrogée. Revivre l’accouchement a été difficile. Le fait de se retrouver, seule, face aux experts médicaux est difficile psychologiquement. Liam a également fait l’objet d’expertises. Ensuite, il faut attendre les rapports… C’est une autre période de stress car vous vous demandez s’ils vont bien être impartiaux. Vous êtes victimes et vous êtes obligée de vous justifier, de le prouver. Ce n’est pas normal. Ce sont eux qui ont fait la faute. Pas moi.

Avez-vous ressenti de la culpabilité ?

Non… même si une mère se sent toujours coupable de ce qu’arrive à son enfant. J’ai davantage des regrets de ne pas avoir demandé une césarienne, de ne pas l’avoir demandée plus tôt. Mais, lorsque vous êtes à l’hôpital, vous avez confiance en le personnel. Et puis je ne suis pas médecin, je ne pouvais pas savoir, imaginer… Mais avec le recul, aujourd’hui, oui je me dis que j’aurais dû réagir… Des choses pas normales se sont passées, par exemple, deux médecins se sont violemment disputés, ce qui ne m’avait pas rassurée… Mais comme je le redis, je ne pouvais pas savoir.

Êtes-vous en colère ?

Je le suis contre le jugement, précisément contre le montant des indemnités. Mon préjudice moral a été estimé à 4 500 euros ! (La somme de 100 000 euros avait été demandée, NDLR). J’ai dû quitter Saint-Martin où nous étions bien. J’ai dû quitter mes amis, mon travail. Le papa de Liam et moi nous sommes séparés.

Aujourd’hui je ne travaille plus, je perçois l’AEEH, l’allocation d'éducation d'enfant handicapé ainsi que le RSA. Je ne cotise plus pour la retraite. Je ne suis pas considérée comme un personnel aidant. Je n’ai que trois heures par jour «de libre» lorsque Liam est à l’IME, de 9 heures à midi et j’en profite pour faire les courses… Mon isolement actuel ne vaut donc que 4 500 euros.

Avez-vous suivi une thérapie psychologique ?

Non, je n’ai pas eu le temps. S’occuper de Liam est un travail à temps plein. Les expertises médicales ont aussi demandé beaucoup de temps. Et puis j’ai créé l’association Marche avec Liam en septembre 2011 dont le but est de récolter des fonds nécessaires pour l’acquisition de matériel, le financement de thérapies pour Liam, etc. J'ai créé aussi la page Facebook. Nous organisons beaucoup de concerts ce qui demande aussi beaucoup de temps. Cela me change aussi un peu les idées, c’est ainsi que j’ai fait ma thérapie !

Pensez-vous que vous pourrez retrouver une vie «normale» ?

Ma vie d'avant, c'est du passé. Aujourd'hui, c'est une seconde vie celle d'une maman d'un petit garçon polyhandicapé, un autre monde, une vie parallèle… Aujourd’hui, je suis peut-être plus sereine qu’il y a quelques années car je connais mieux mon fils, c’est plus facile, on se comprend mieux. Mais l’avenir sera encore plus compliqué lorsque Liam va grandir. Aujourd’hui, je peux le porter mais bientôt, je ne le pourrai plus. Je pourrai aussi moins voyager car cela sera trop compliqué. Si le montant de la rente trimestrielle n’est pas revu à la hausse, je ne pourrais pas faire appel à des personnes pour m’aider au quotidien, et cela me privera de liberté. Je pense qu’il sera difficile pour moi de retrouver un semblant de vie normale… Je ne veux pas placer Liam dans un centre, c’est trop éprouvant psychologiquement. Je dois tout faire pour lui, je n’ai pas le choix.

Avez-vous envisagé d’avoir un second enfant ?

Non… Certaines mamans font en effet un deuxième bébé, mais moi, je ne l’ai jamais voulu. Je ne veux pas infliger le handicap de Liam à un autre enfant.

En voulez-vous à quelqu’un ?

Oui, bien sûr ! J’en veux à certains membres de l’équipe médicale… d’autant plus qu’ils n’ont jamais reconnu leurs erreurs. Ils ont cherché à me faire croire que le problème venait de moi alors que les rapports d’expertise montrent bien leur responsabilité dans le handicap de Liam. Ils auraient dû réagir autrement. L’erreur est humaine, je le conçois entièrement, mais quand on fait une erreur, il faut aussi la reconnaître.

S’ils la reconnaissaient, éprouveriez-vous un soulagement ?

Oui, absolument.

Enfin, quel message aimeriez-vous passer aux mamans qui sont dans la même situation que vous ?

Elles doivent être fortes et se battre ! Il ne faut pas avoir peur de dénoncer les erreurs. Il faut saisir la justice. J’ai récemment reçu le courrier d’une maman dont l’accouchement s’est mal déroulé et elle voulait savoir les démarches à effectuer, elle voulait savoir comment j’avais fait. Elle a entièrement raison de le faire. Mais je dois admettre que se battre coûte cher, les expertises ont coûté à elles seules 9 000 euros. Il ne faut pas avoir peur de dénoncer les erreurs. Etre parent d’un enfant handicap est un combat de tous les jours, et là je ne parle pas du combat contre la maladie mais contre la société. Je me suis aperçue que notre société n’était pas faite pour les enfants handicapés qui constituent une minorité invisible. Rien ou trop peu n’est fait pour eux. C’est pourquoi j’ai décidé de conduire dans ma région le projet d’aménagement d’un espace pour les enfants handicapés dans un parc de la ville, mais cela est un chantier depuis trois ans… Une copine me dit souvent que j’ai beaucoup de courage, je lui réponds que non, je n’ai pas de courage, je fais juste ce que je dois faire. Sans aucun doute, cette expérience m’a appris l’humilité, la nécessité de relativiser et de savoir vivre le moment présent.

Estelle Gasnet
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Commentaires

les juges sont-ils à ce point déconnectés de la vie réelle pour ne pas connaître le coût pour salarier quelqu'un ? permettre à ces personnes d'être formées ? Pour un vrai relai il est nécessaire de tourner avec 4 personnes , alors l'indemnisation est loin du compte ... Et encore il faut toujours compter sur une personne ressource bénévole pour faire face aux imprévus car la personne salariée peut ne pas être à son poste au moment , malade par exemple. messieurs les juges je vous suggère au lieu d'indemniser avec des montants de prendre en charge l'organisation des relais et peut-être alors vous toucherez du doigt la vraie vie et du coup les frais réels qui s'élèvent à des montants bien supérieurs. messiers les juges cela vous tente d'échanger le quotidien juste une semaine ... Je pense que seulement après une telle expérience vous pourriez juste commencer à évaluer correctement les indemnisations...