08.01.2021

Prison avec sursis pour deux "petites mains" d'un trafic d'êtres humains "digne d'un scénario de film"

«Digne d’un scénario de film», c’est ainsi que maître Marion Tillard a qualifié l’affaire dans laquelle ses deux clients étaient impliqués et pour laquelle ils ont comparu mercredi matin devant le tribunal de proximité de Saint-Martin.

«C’est la DEA qui informe la police de Sint Maarten d'un éventuel trafic de migrants entre St Maarten et les îles vierges américaines. Le parquet de St Maarten informe alors celui de la partie française pour solliciter la coopération de la police aux frontières. L’affaire est baptisée Eagle», commence à raconter l’avocate.

Des Albanais, Indiens, Vénézuéliens -soit au total six hommes, trois femmes et deux enfants - sont arrivés à sur l’île afin de rejoindre «l’eldorado américain» via les îles vierges. «Ils versent l’argent dans une maison abandonnée, puis sont récupérés à leur hôtel par des gens au visage masqué pour être transportés sur une plage isolée, l’Anse des Pères côté français. Et là, ils vont attendre assis avec un sac à dos pendant plusieurs heures », poursuit l’avocate. Les migrants doivent embarquer à bord d’une Saintoise.

«On a un élément humoristique, un homme en slip dans la mer qui fait des signes au bateau. Puis intervient la PAF, les agents crient Police ! Le type sur le bateau crie dégage à celui qui était en slip dans la mer et qui tenait la corde de la saintoise», ajoute l’avocate.

«D’un côté, on a la misère et l’espoir, de l’autre des hommes mafieux. Et au milieu, les deux qui sont prévenus et qui se retrouvent devant le tribunal», a-t-elle complété. Ses clients, ce sont HS, ressortissant Dominicain arrivé sur l’île en 2007 et titulaire d’une carte de résident de la partie hollandaise, et SV, ressortissant Haïtien arrivé à Saint-Martin en 2008 à l’âge de 18 ans pour retrouver sa mère. Il est en situation irrégulière et vit avec sa copine côté français.

Les deux se connaissent depuis environ trois ans, l’un travaille régulièrement dans le BTP, le second est carreleur de formation. Ils ont l’habitude de faire régulièrement des jobs ensemble. Et le 15 novembre l’année dernière, «ils ont fait un petit job en plus». HS contacte SV pour l’accompagner à aller aider des gens à embarquer sur un bateau. Les deux se retrouvent à 21 heures au point de rendez-vous, le rond-point d’Agrément. Ils montent dans un minibus à bord duquel se trouvent les migrants. Direction l’anse des Pères. Après environ deux heures d’attente, la Saintoise arrive. HS se met à l’eau pour lui faire des signaux avec une torche, le pilote de l’embarcation répond par des signaux et s’approche de la plage. SV se tient à proximité de HS sur le sable.

Ayant été informés de l’opération par la police de St Maarten, les agents de la police aux frontières observent, cachés, la scène. Au moment où la Saintoise est proche, ils sortent. HS et SV prennent peur et s’enfuient mais sont rapidement rattrapés. Ils sont arrêtés et placés en garde à vue. Ils sont poursuivis pour aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France.

A la barre, SV explique que c’était la première fois qu’il faisait ça. Il le justifie par le besoin d’argent. «Quand je suis monté dans le bus et ai vu des femmes et des enfants, j'ai compris… J’ai des enfants aussi… mais c’était trop tard », confie-t-il à l’audience lors de laquelle il était soutenu par sa famille dont sa mère venue spécifiquement de Guadeloupe.

De son côté, HS a expliqué que ce soir-là, il «buvait des verres avec T» dans un bar à Marigot et que c’est à ce moment que T lui a proposé le job. C’est lui qui a fixé le rendez-vous au rond-point à Agrément, lui a dit d’attendre l’arrivée d’un bus et lui a donné la torche pour faire des signaux au bateau. Il lui avait promis 400 dollars qu’il devait partager avec SV.

Pour le procureur, les deux prévenus sont «de petites mains qu’on utilise pour faciliter le trafic d’êtres humains». Il a requis des peines de huit et dix mois de prison et des amendes de 1 000 et 2 000 euros à l’encontre respectivement de SV et HS. Il a aussi demandé à l’encontre de HS une interdiction de séjour en France pendant dix ans car «il n’a aucune attache sur le territoire». Le parquet n’a en revanche pas prononcé cette peine à l’encontre de SV car sa concubine et ses enfants vivent en partie française.

Après en avoir délibéré, le tribunal a condamné SV et HS à des peines respectives de six et huit mois de prison aves sursis.

A noter que d’autres interpellations ont été effectuées dans le cadre de cette affaire par la police de Sint Maarten.

Diligence d’une enquête dans le restaurant de l’employeur de SV

L’affaire avait été enrôlée la première fois fin novembre mais avait été renvoyée car les deux prévenus avaient demandé un délai pour préparer leur défense comme la loi le leur permet. Lors de cette première audience, un exposé rapide des faits avait été établi par les juges, lors duquel SV et HS avaient précisé leur situation familiale et professionnelle.

SV avait alors expliqué qu’il avait notamment travaillé pendant six ans dans un restaurant de la partie française sans être déclaré et que depuis une semaine il était employé toujours sans être déclaré en tant que vigile la nuit dans un autre restaurant, à Grand Case cette fois. Le caractère illégal de l’emploi n’avait pas échappé au procureur qui avait alors déclaré qu’il diligenterait une enquête. A ce jour, celle-ci est toujours en cours et menée par la police aux frontières.

Estelle Gasnet