25.11.2016

Procès de N. Stephen : la défense oriente les débats sur la question de l'identité saint-martinoise

La défense a fait appel à trois témoins dont deux Guadeloupéens, invités à parler du contexte dans lequel se trouvent les populations locales.

Jeudi, Nadika Stephen comparaissait devant le tribunal correctionnel pour avoir proféré des insultes - dont certaines à caractère raciste - à des policiers. À la barre, elle a nié les faits, du moins elle a expliqué ne pas se rappeler ce qu’elle avait dit car elle était trop énervée pour s’en souvenir. Aussi pouvions-nous attendre de la défense une démonstration en ce sens.

Sur les six heures qu’a duré le procès, la défense y a consacré une vingtaine de minutes. En lisant des extraits des procès verbaux des auditions des policiers, elle a tenté de prouver que les propos cités ont bien été tenus, pas par Nadika Stephen, mais par sa sœur. Pour autant, c’est Madame Stephen qui a été interpellée et convoquée. «Pourquoi l’a-t-on choisie ? Si ce n’est pour en faire un exemple ?», commente maître Aristide. La défense considère en effet que Nadine Stephen a été arrêtée en raison de son engagement au sein de l’association Soualiga Grassroots et de son combat à défendre à l’identité saint-martinoise. Et c’est donc sur ce point que le débat a été orienté.

Il a principalement été animé par les cinq avocats guadeloupéens recrutés par la prévenue. Les magistrats ont posé des questions en début d’audience afin de connaître le déroulement des faits. Puis ont écouté les conseils ainsi que les trois témoins appelés à la barre par la défense.

LE PROBLÈME DE LA LANGUE

Mais avant de rentrer dans le vif de son sujet, la défense a soulevé plusieurs nullités [qui ont été jointes au fond] afin de faire annuler la procédure. L’une d’elles portant sur l’absence d’interprète lors de l’audition libre de Madame Stephen, un peu plus d’un mois après les faits. Ses droits auraient été bafoués. S’exprimant en anglais, elle aurait dû bénéficier d’un interprète assermenté. Or, c’est une agente de sécurité au sein de la PAF qui a traduit les échanges et le procès verbal [qu’elle n’a pas signé] ne mentionne pas qu’elle a prêté serment comme elle aurait dû le faire. Selon la défense, cet argument peut faire annuler la procédure.

Le tribunal a demandé à la prévenue de confirmer qu’elle ne parlait pas français. Celle-ci a répondu qu’elle «s’exprimait mieux en anglais car c’était sa langue maternelle». Elle a ajouté «comprendre le français mais pas les termes juridiques». C’est pourquoi un interprète avait été sollicité hier. Mais la défense a été prise à son propre piège lors d’un échange sur un autre sujet.

Un peu plus tard, la prévenue explique qu’elle a été un jour insultée mais qu’elle n’a pas déposé plainte car elle a estimé que personne ne la croirait. À ce moment, le vice-procureur sort la copie du procès-verbal d’une plainte déposée par Madame Stephen, victime, à la suite des événements du 22 octobre 2015. «Le procès-verbal a été rédigé en français. Aucun interprète n’a été sollicité et Madame Stephen l’a signé», commente Yves Paillard alors que les avocats lisent le document et s’indignent de ne pas en avoir eu connaissance plus tôt. La question de la langue ne sera plus abordée.

LE TÉMOIGNAGE DE DANIELLE JEFFRY

Le débat est recentré sur la question de l’identité. Et pour en parler, la défense appelle à la barre Daniella Jeffry, auteure de nombreux livres sur l’histoire de Saint-Martin. «Je ne connais pas les détails de l’affaire… Si elle [Mme Stephen] a revendiqué son identité saint-martinoise, c’est tout à fait normal», conçoit-elle au tribunal. Elle précise que «l’identité et la nationalité ne se confondent pas». Ce sont deux notions différentes. «La nationalité n’a jamais été un fait d’identification», ajoute-t-elle.

Daniella Jeffry est revenue sur l’histoire de Saint-Martin, vieille de 350 ans, pour expliquer le sentiment de frustration ressenti aujourd’hui. «Nous sommes en souffrance depuis trente ans. C’est la défiscalisation qui a généré sur l’île ces bouleversements sociaux et sociétaux. Nous sommes passés d’une population de 8 000 à 28 000 habitants. Cela a été le point de départ d’une nouvelle société», affirme-t-elle. «On avait à l’époque 500 chambres d’hôtel et du côté hollandais, il y en avait 4 500. Il a donc fallu faire pareil. Et pour construire ces hôtels, on a fait appel à l’immigration dans les autres îles de la Caraïbe. Puis il a fallu légaliser ces 3 000 personnes illégales venues des autres îles. Cela a créé un bouleversement sur notre île», poursuit-elle. Et de noter que les crimes ont commencé à être commis à partir de cette époque. «Cette nouvelle société a créé cette délinquance», précise-t-elle.

Daniella Jeffry insiste en outre sur le fait que «les Saint-Martinois sont sensibles aux contrôles d’identité, sur le fait d'être arrêtés par la PAF et parfois considérés comme des personnes immigrées».

Elle admet néanmoins que lutter contre l’immigration illégale est «un devoir» de la PAF, qui doit en effet «vérifier». Mais ne tolère pas que des Saint-Martinois puissent être contrôlés, au motif qu’ils sont noirs, comme la plupart des immigrés illégaux à Sint Maarten. La question serait alors de savoir comment un policier peut-il reconnaître un Saint-Martinois, une personne illégale d’une personne légale. Elle lui a été posée par le vice-procureur. Daniella Jeffry s’est contentée de répondre que «la police doit le vérifier et que tous les Saint-Martinois se connaissent entre eux».

LE TÉMOIGNAGE DE DEUX GUADELOUPÉENS

La défense a ensuite appelé à la barre Julien Merion, professeur de sciences politiques à la retraite, qui a surtout donné une vision régionale de la question d’identité. Les questions des avocats étaient très orientées : «quels ingrédients sont nécessaires pour créer une explosion sociétale ? Quelle perception a-t-on des puissances coloniales dans la Caraïbe ? »

Puis c'est au tour d'Eli Domota, leader du LKP en Guadeloupe qui est à l’origine des mouvements sociaux de 2009 en Guadeloupe. Dès qu’il prend la parole, il donne le ton : «comment peut-on s’octroyer la propriété d’un bien d'autrui par le crime. La France s’est appropriée les terres de Guadeloupe et de Saint-Martin par les crimes».

Devenu le mentor des Guadeloupéens qui revendiquent leur identité, Eli Domota dont le discours est extrêmement bien rôdé, a rappelé les dates importantes de l’histoire de la Guadeloupe prouvant l’invasion et la domination de la France. Il s’est attardé sur les événements de mai 1967 dont un rapport vient d’être remis à la ministre des Outre-mer. Le leader du LKP a aussi abordé l’abolition de l’esclavage. «En 1789, la déclaration des droits de l’homme est signée. On dit que tous les hommes sont égaux en droit et en 1802 on rétablit l’esclavage en Guadeloupe. Ici, nous ne sommes pas tous égaux. Puis lors de l’abolition de l’esclavage, on indemnise les maîtres mais pas les esclaves, les victimes», déclare-t-il. Et d’affirmer que «nous ne pouvons pas être racistes au vu de tout ce que nous avons vécu : déportation, génocide, esclavage, colonisation».

Ainsi chacun s’est-il employé à démontrer l’emprise des blancs sur la population locale, la domination d’un groupe sur un autre.

De manière habile également, les avocats de la défense ont montré comment les policiers métropolitains représentant la classe dominante, avaient pu manipuler leur collègue, noir et natif d’Haïti, aussi victime. «Selon les auditions, notre cliente aurait dit 'Sale Haïtien, saloperie d’haïtien', mais ces propos n’ont pas été repris dans la prévention. Votre hiérarchie vous a laissé tomber», a lâché maître Aristide en regardant le policier concerné. «Il y a la domination d’un groupe sur un autre et il existe aussi une hiérarchisation dans la domination. On l’a absorbé», a indiqué maître Chevry, en faisant allusion au policier noir. «Vous avez été abandonné», avait déjà dit quelques minutes plus tôt maître Daninthe.

Les avocats avaient aussi eux aussi un discours bien rôdé. Maître Chevry a raconté l’un des procès dans lequel ils étaient intervenus. «La nièce de l’homme le plus riche de Guadeloupe et de Martinique, Bernard Hayot, était poursuivie pour avoir insulté et craché sur des gendarmes dont l’un était noir (…) La procédure a finalement été annulée car la procédure a été déclarée irrégulière et la nièce a été mise hors de cause», explique-t-elle en remettant ainsi en cause l’intégrité des forces de l’ordre. «Qu’est-ce qui autorise la police à ne pas respecter la justice ? », se demande-t-elle. Elle est convaincue qu’aujourd’hui on s’attache «à faire ressortir la pensée de la classe dominante». Et son confrère, maître Ezelin, d’insister sur l’importance de «résister aux idées dominantes en essayant de bloquer ses intentions».

Maître Durimel qui a l’habitude de venir plaider à Saint-Martin, a pris la parole en dernier [ses confrères ont dû partir avant la fin d’audience car ils devaient reprendre l’avion pour la Guadeloupe, ndlr]. Conscient que «la différence de couleur de peau » peut influencer «les relations sociales», maître Durimel a voulu montrer que «le sentiment français n’habite pas un Français de la même façon. En tant que Guadeloupéen ou Saint-Martinois, je vais ressentir une certaine chose alors qu’un métropolitain va se sentir français parce que ses grands-parents ont fait la guerre».

Si maîtres Chevry, Aristide, Daninthe et Ezelin ont convenu que leurs expériences leur avaient montré que «les policiers montaient ce genre de dossier car ils pensent qu’ils auront la justice avec eux », ils se sont dits confiants envers la justice de Saint-Martin. Et maître Durimel de confier : «Vous êtes monsieur le juge au dessus de la mêlée», a-t-il lancé au président, Gérard Egron-Reverseau qui a mis en délibéré le jugement au 19 janvier 2017.

Estelle Gasnet
2 commentaires

Commentaires

bravoa a ces avocats !! enfin montrer le goug de cette métropole arrogante a st martin !! aucune psychologie quand les gendarmes arrêtent pour un contrôle un jeune noir!! avant les gendarmes en outre mer avaient des tenues décontracté ( short polo) maintenant gilet pare-balle , tenue de combat ,fusil mitrailleur en bandoulière .on se croirait dans un pays en état de guerre.C'est aussi une belle image pour les touristes qui se croient en Irak ou dans une dictature africaine! alors comment voulez vous que les rapports autorité et vie locale se rapprochent pour "le vivre ensemble " aucun respect de la population locale, il faut absolument se calquer sur la métropole c est ridicule.Nous perdons nos traditions et notre culture , nous nous enfonçons dans les travers de ces sociétés dite industrialisées. Aujourd'hui l économie est aux mains des "métros" avec leurs esclaves de l' immigration qui leur permettent de parader et pendant ce temps arrivent sur le marché du travail plus de 300 jeunes sur le marché du travail pour aller faire plongeur au agent de sécurité pendant que les saisonniers arrivent chaque hiver pour piquer les bons postes alors qu ils sont inscrits a pole emploi en métropole voila la réalité.

bonjour, je partage tout à fait le fond de ton opinion. c'est terriblement vrai que l'esprit et les traditions St Martinoise se perdent, se diluent lentement et c'est avec tristesse que je vois disparaitre lentement cet esprit pacifique et cordial, l'hospitalité et l'empathie qui régnaient ici et qui ont fait que St Martin est devenu ma destination finale.
Bien sûr qu'il est ridicule de vouloir à tout prix aligner la vie sur St Martin avec la vie en France. De toute façon c'est et restera impossible.
Oui c'est vrai que de nombreux "sac à dos" arrivent régulièrement, inscrits ou non à pôle emploi et qui trouvent du travail chez des complices qui les emploient au lieu de favoriser l'emploi local.
il ya bien d'autres problèmes tout aussi graves mais ce que je ne partage pas avec toi (pas encore!) c'est que "l'identité St Martinoise" ne se reconnaîtrait que chez les St Martinois "de souche" c'est à dire au moins 2 générations et disons le franchement "noirs" pour ma part je pense que qu'on peut devenir St Martinois si on se fait accepter par la population, qu'on respecte et qu'on participe aux traditions, qu'on parle l'anglais et que qu'on participe à l' essor de l'île. cela fait 20 ans que je suis ici, mes enfants sont nés ici et ma fille qui n'a que 13 ans a déjà décidé que le jour où elle aura un enfant, elle donnera naissance à St Martin. mes enfants sont parfaitement bi-lingues ont de nombreux amis du nord au sud de l'île. lorsque nous voyageons, nous n'oublions jamais de montrer notre fierté d'être St Martinois. nous nous revendiquons St Martinois et nous sommes blancs et ca vient en dernier dans la liste, c'est comme ça...qu'en penses tu??