30.06.2022

Les effets dévastateurs de l’alcool au sein d’un couple

Ils étaient présents tous les deux à l’audience. Ils n’ont pas cessé de se regarder. De pleurer. Lui, dans le box des accusés. Elle, sur le banc de la partie civile. YD, âgé de 38 ans, est accusé pour la seconde fois de violences sur sa conjointe. Il était présenté en comparution immédiate devant le tribunal de proximité de Saint-Martin mercredi.

Deux jours plus tôt, après sa journée de travail, YD va au bar, consomme cinq boissons alcoolisées en compagnie de sa compagne et de leur petite fille de trois ans. Sur le chemin du retour, le couple se dispute dans la voiture pour une raison dont il ne se souvient plus.

A la maison, la femme demande à YD de rester dehors. Elle sait qu’il est alcoolisé et connaît son comportement lorsqu’il est dans cet état. Elle veut éviter une nouvelle altercation. YD s’exécute mais au bout d’un moment, il essaie de rentrer. D’abord par les clayettes d’une fenêtre puis fracture la porte. A l’intérieur du logement, énervé, il donne un coup de poing dans le dos de sa compagne et la pousse contre le mur.

A l’arrivée des gendarmes, elle présente des ecchymoses sur les bras. YD est interpellé, placé en cellule de dégrisement puis en garde à vue. Il reconnaît les faits et justifie ses gestes par les effets de l’alcool.

La victime est elle aussi entendue par les enquêteurs. Elle explique que le père de sa fille est un «homme gentil», qu’ensemble ils ont une «relation normale» sauf quand il a bu. Dans son audition, elle précise que ce n’est pas la première fois, qu’enceinte il l’avait déjà frappée. A la barre du tribunal, elle rectifie et parle de «malentendu». Néanmoins, début juin, elle a déjà comparu devant ce même tribunal en tant que victime et YD comme auteurs de violences conjugales. Il avait été condamné à suivre un stage de sensibilisation aux violences intrafamiliales.

«Je me souviens qu’à cette audience, Madame avait eu des propos qui m’avaient rassurée», confie la représentante du ministère public. «Madame avait dit que s’il recommençait à la frapper, elle le quitterait», rappelle la vice procureure. Or quelques minutes plus tôt, la victime a confirmé au tribunal qu’elle pouvait donner une autre chance à son couple. «Elle sait qu’il a un problème avec l’alcool, que l’alcool a causé la rupture de l’ancienne relation de Monsieur. Au lieu de lui dire de ne pas boire, elle lui dit qu’il devrait ralentir sa consommation. Ce discours n’est pas entendable», déclare-t-elle. Et d’insister sur les conséquences sur leur enfant : «vous dites ne rien avoir remarqué dans le comportement de votre petite fille. Mais celle-ci dit : papa tu ne dois pas frapper maman. Trouvez-vous cela normal ? Vous dites protéger votre enfant, que celle-ci n’est pas en danger. Or quand vous rentrez du bar, elle est dans la voiture et c’est Monsieur, alcoolisé, qui conduit. Cette petite fille assiste à des scènes de violence». Pour la vice procureure, la victime «n’est pas capable de protéger son enfant» contrairement à ce qu’elle prétend. Aussi indique-t-elle qu’elle va saisir les services sociaux dans la journée afin d’apprécier la situation familiale et le risque encouru par la petite fille. S’il n’y a pas de problème, l’enfant restera au domicile, sinon le juge des enfants sera saisi.

Le parquet fait également preuve d’intransigeance à l’encontre du prévenu. Ce dernier a avoué son problème avec l’alcool. Son avocate précise qu’il boit depuis que son ex compagne a quitté l’île avec leur fils qu’il n’a jamais revu. YD confirme qu’il consulte régulièrement un addictologue depuis le mois de janvier et suit un traitement médicamenteux, mais «inefficace» selon lui. Il se dit prêt à suivre une cure dans un centre spécialisé en métropole. «Après avoir dû fermer mon entreprise, j’ai dû trouver un emploi en tant que salarié pour subvenir aux besoins de ma famille, je n’ai pas encore pu partir», confie-t-il.

La vice procureur est dubitative. «Vous dites que votre traitement est inefficace mais vous ne faites rien pour le changer. Vous n’êtes pas capable de vous prendre en main», conçoit-elle. Elle requiert ainsi une peine beaucoup plus sévère que celle demandée début juin, soit six mois de prison dont trois assortis d’un sursis probatoire pendant deux ans comprenant l’obligation de soins, voire l’interdiction du territoire de Saint-Martin pendant deux ans afin de lui laisser le temps de se soigner en métropole. Elle demande également un mandat de dépôt.

Après en avoir délibéré, le tribunal condamne le prévenu à une peine encore plus lourde : un an de prison dont six mois assortis d’un sursis probatoire pendant deux ans comprenant l’obligation de soins et l’interdiction de détenir une arme pendant cinq ans. Il prononce également un mandat de dépôt. Cela signifie que YD a été transféré en prison en Guadeloupe quelques heures plus tard.

Le prévenu est en pleurs. La victime, effondrée. «Vous n’êtes pas responsable en rien de la situation», lui lancent avec fermeté les magistrats.

Estelle Gasnet