03.02.2022

Empoisonnements de chiens : 7 500 € dont 3000 avec sursis requis

Les faits avaient suscité une grande émotion au sein des propriétaires de chiens et chats. La gendarmerie avait lancé un appel à vigilance. Dans la nuit du 16 au 17 septembre 2021, une quinzaine d’animaux avait été empoisonnée lors de balades avec leur maître dans les secteurs de Grand Case, Cul de Sac et Anse Marcel. Rapidement les propriétaires se sont rassemblés, ont déposé plainte et formé un collectif.

Après plusieurs semaines d’enquête, DC, un Saint-Martinois de 39 ans domicilié en Martinique, a été identifié par les gendarmes comme la personne ayant déposé le poison dans les secteurs concernés. Il a été présenté mercredi devant le tribunal de proximité de Saint-Martin en comparution immédiate. Convoqués en leur qualité de victime, les propriétaires des chiens morts étaient également présents. Dans une ambiance où la tension était aussi grande que l’émotion, l’audience a duré 4h30 (avec une suspension de 15 minutes).

Maître Marion Tillard, représentant deux couples victimes et substituant le conseil parisien de la Fondation 30 Millions d’Amis qui s’est aussi constituée partie civile, a contextualisé l’affaire dès le début de sa plaidoirie «en mettant les pieds dans le plat», en évoquant «le rapport à l’identité culturelle», « le rapport avec l’animal domestique qui n’est pas le même selon son éducation, la famille, le milieu où l’on a vécu ». «Si en Europe, l’animal domestique est considéré comme un membre de la famille», convient-elle, ailleurs, il ne l’est pas forcément, notamment dans les îles d’outre-mer. Des propos qui ont fait s’insurger son contradicteur issu du barreau de Paris, mais qui devaient servir à justifier les démarches et l’émotion de ses clients.

«Mais ce n’est pas au nom de la souffrance que l’on peut condamner quelqu’un sans élément contre lui», a répondu maître Eddy Arneton. Le manque de preuves matérielles a été le fil conducteur de la défense. Tout au long de l’audience, le conseil n’a cessé de répéter que son client n’a jamais été formellement identifié par les victimes. Et de souligner que les descriptions de certains propriétaires de chiens aux gendarmes, ne correspondaient pas au profil de DC.

Plusieurs victimes ont affirmé avoir vu quelqu’un avec des dreadlocks, «or mon client n’en avait pas», a assuré maître Eddy Arneton en montrant au tribunal une photo de son client prise quelques jours avant les faits reprochés. «Sur onze victimes, deux ont dit avoir vu un pick-up blanc, trois un pick-up bleu, une un SUV et une un SUV blanc. Or aucune enquête n’a été menée sur le pick-up bleu», poursuit l’avocat. L’enquête s’est orientée rapidement vers le pick-up blanc.

Outre dans certains témoignages, ce véhicule apparaît sur des images de vidéosurveillance issues de sites dans les secteurs où les empoisonnements ont eu lieu. Sur certaines on voit un pick-up blanc faire demi tour, sur d’autres un passager descendre d’un pick-up blanc et jeter quelque chose au sol, sur d’autres un seau «avec une substance à l’intérieur» est aperçu dans la benne du véhicule. Mais les visages du conducteur et du passager et la plaque d’immatriculation ne sont visibles sur aucune image.

Après avoir recoupé certaines informations, les gendarmes parviennent à identifier le propriétaire du pick-up, il s’agit de EL domicilié à Grand Case*. Il explique qu’il prête son véhicule à son beau-frère, DC. Celui-ci reconnaît se servir de ce véhicule et l’avoir conduit le 16 septembre 2021.

A la barre, il explique que ce jour-là, après avoir passé l’après-midi avec «une copine», il a voulu aller chercher chez LL sa scie à viande dont il avait besoin en vue de l’abattage de cabris qu’il élève. Etant sur le secteur de Cul de Sac, il en profité pour regarder des terrains et/ou maisons à vendre dans le cadre de son projet immobilier. «Je veux bien vous croire pour Cul de Sac, mais comment expliquez-vous être allé à l’anse Marcel sur le terrain derrière le stand de tir où il n’y aucune maison, sur ce terrain où l’on sait que les gens qui ont des animaux s’y rassemblent pour aller les promener ?», demande le procureur. DC répond qu’il regardait aussi les terrains et les panneaux à vendre posés par des particuliers.

Au cours de l’enquête, le nom de DC est aussi cité par une tierce personne. «Une certaine A. a donné le nom de DC en pâture, qu’elle avait pointé du doigt DC comme ça n’importe comment. Cette A a dit que les empoisonnements, cela ne pouvait pas être EL, mais plutôt DC… mais sur quelle base ?», s’indigne maître Eddy Arneton.

Le mobile du prévenu, maître Tillard l’avait suggéré quelques instants plus tôt. DC est éleveur de cabris sur Grand Case et ses bêtes sont régulièrement attaquées par les chiens errants qui sont, reconnaît-elle, un véritable fléau sur l’île. «Ces empoisonnements sont une vengeance orchestrée à l’égard des chiens», veut-elle faire admettre. Une vision partagée par le procureur qui a lâché : «si vous aviez peur pour vos bêtes, vous auriez pu remettre une clôture pour les protéger» ; DC avait précisé que la clôture avait été détruite par Irma.

Avant que l’enquête ne s’oriente vers DC, elle l’a été sur LL, autre éleveur dont les bêtes avaient péri quelques mois plus tôt (en mars 2021) dans un incendie à Cul de Sac. Maître Arneton a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les descriptions des victimes de «l’homme avec des dreadlocks et avec un front large » lui correspondent. Il a même été désigné sur le tapissage des gendarmes par certaines victimes. Mais il a été mis hors de cause.

Par ailleurs, DC et son conseil se sont dits étonnés de la rapidité avec laquelle ces investigations ont été menées et la convocation en justice fixée. «Il y a déjà eu des empoisonnements, mais jamais il n’y a eu d’enquête. Quand les bêtes sont attaquées, il n’y a pas d’enquête », ont-ils fait remarquer en soulignant la «pression» qui reposait sur les gendarmes de «trouver un coupable », d’autant que l’un des propriétaires de chiens morts est un militaire, précision soulevée par le conseil dès le début de l’audience. Maître Arneton a en outre rappelé qu’aucun poison n’a été retrouvé à son domicile et qu’aucune autopsie des animaux n’a été pratiquée pour déterminer avec certitude la cause de la mort. «Seuls deux prélèvements ont été faits et ont révélé la trace de Métaline, un insecticide interdit en France », note-t-il. Il a aussi valoir que les chiens «divaguaient », qu’ils étaient laissés en liberté par leur maître pour se promener.

Pour le représentant du ministère public, DC a participé à «la vague d’empoisonnements» survenus pour la plupart dans la nuit du 16 au 17 septembre 2021. Il a requis une peine de 7 500 euros d’amende dont 3 000 assortis du sursis simple. Le jugement a été mis en délibéré au 18 mars.

Plusieurs propriétaires se sont constitués partie civile de même que la SPA et la fondation 30 Millions d’amis. Au total, quelque 20 560 euros sont demandés par les victimes au titre des dommages matériel (frais de vétérinaire) et moral. Certaines ainsi que la SPA ont demandé à ce que DC soit interdit d’élever et d’avoir des animaux.

* Une perquisition a eu lieu à son domicile qui a permis la découverte non pas de poison mais de munitions et d’armes. EL avait alors été interpellé, placé en garde à vue et jugé en comparution immédiate. Il avait été mis hors de cause dans l’affaire des empoisonnements d’animaux.

Estelle Gasnet