01.09.2021

Elle réclamait des loyers alors que le logement était inhabitable post Irma

La locataire d’un logement situé à Cul de Sac en partie française a gagné en appel son procès contre sa propriétaire qui l’avait poursuivie pour ne pas avoir payé ses loyers alors que ledit logement avait été fortement endommagé par l’ouragan Irma et qui voulait l'expulser après des travaux de rénovation.

Contexte de l’affaire

Selon les éléments du dossier, un contrat verbal a été conclu entre les deux parties en 1991 : la propriétaire (qui vit aux Etats-Unis) met à la disposition de sa locataire un logement décent en contre partie d’un loyer mensuel de 550 dollars à Cul de Sac. Un contrat écrit est signé en mai 2016 entre la locataire et le neveu de la propriétaire la représentant ; le bail mentionne un loyer mensuel de 550 dollars (451, 30 euros).

En août 2017, la locataire ne verse pas le loyer. Puis l’ouragan Irma passe sur Saint-Martin causant d’importants dégâts au logement. La locataire quitte les lieux temporairement le temps d’entreprendre des travaux de remise en état en urgence à ses frais pour un montant de 6 963 euros. Elle estime pouvoir réinvestir les lieux en avril 2018.

Début de l’affaire

Etant donné que sa locataire n’a pas versé de loyers depuis août 2017 car le neveu était absent de l'île, il lui fait délivrer en mars 2018 une sommation de payer les loyers dus puis, par huissier, le mois suivant une assignation devant le tribunal de Saint-Martin (procédure civile). Elle réclame notamment la somme de 3 303 euros ainsi que 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (frais d’avocat).

L’affaire est examinée par le tribunal de Saint-Martin dont le jugement rendu en novembre 2018, ordonne la résiliation du bail et à défaut de départ volontaire de la locataire, son expulsion avec l’assistance d’un serrurier ou de la force publique si nécessaire. Toutefois, le tribunal acte que la locataire a réalisé des travaux à ses frais, qui ne lui appartenaient pas de faire. Il considère ainsi que ces frais engagés compensent les loyers non versés et au final, après calcul, c’est la propriétaire qui est redevable de 3 072 euros à sa locataire.

Assistée de maître Noémie Chiche-Maizener, la locataire décide néanmoins de faire appel de ce jugement car il a ordonné la résiliation du bail : elle ne peut plus habiter dans le logement qu’elle a rénové.

L’affaire en appel

Son appel est déclaré caduque en juillet 2019 par le conseiller de mise en état de la cour d’appel de Basse-Terre. Mais en février 2020, la cour d’appel annule cette ordonnance : l’affaire de la cliente de maître Chiche-Maizener sera bien réexaminée par la justice. En décembre 2020, la cour fixe la date d’audience en avril 2021, soit 29 mois après le premier jugement.

La locataire demande à la cour d’annuler la résiliation du bail et d’être indemnisée par la propriétaire des travaux réalisés. Elle estime qu’elle n’avait pas à payer de loyer tant que le logement n’était pas remis en état après Irma et que l’argent dépensé pour ces travaux compensent les loyers des mois qui ont suivi, soit jusqu’en mai 2019. Elle a ensuite réglé son loyer.

De son côté, la propriétaire campe sur ses positions : elle veut récupérer les loyers dus et expulser la locataire. Elle argue en outre que sa locataire a réalisé ces travaux sans son autorisation et qu’elle n’avait pas souscrit de contrat d’assurance.

La décision de la cour d’appel

La cour constate que le bail est rédigé de façon très simplifiée et ne comporte pas de clause indiquant qu’en cas de défaut de paiement, la propriétaire est autorisée à expulser le locataire. Aussi aurait-elle dû envoyer une mise en demeure de régulariser la situation et prouver le refus de le faire par le locataire avant de demander son expulsion

De plus, la cour admet - au vu des photos fournies dans le dossier - que logement était totalement inhabitable après Irma et cela jusqu’en mars 2018. C’est donc, dans son droit, que la locataire n’a pas payé les loyers pendant la période où le logement était inhabitable. Cependant, la cour considère que la locataire aurait dû payer le loyer d’août 2017, ainsi que ceux à partir d’avril 2018, ce qui a été fait.

La cour donne aussi raison à la locataire pour avoir «engagé des travaux de remise en état qui s’imposaient pour rendre de nouveau les lieux habitables» puisque la propriétaire n’a rien fait. Contrairement à ce que cette dernière affirme, ces travaux n’étaient pas illégaux (car non autorisés) dans la mesure où ils ont été dictés par un «contexte d’urgence». La propriétaire ne démontre pas non plus (alors qu’elle l’a affirmé) qu’ils ont été faits dans le non respect des règles de l’art.

En ce qui concerne le problème d’assurance, la cour constate parmi les pièces fournies dans le dossier, que la locataire était bien assurée en 2018, soit au moment où la propriétaire lui reprochait de ne pas l’être.

La cour d’appel de Basse-Terre a rendu son jugement mi juin 2021 et a annulé la résiliation du bail prononcée par le tribunal de Saint-Martin. Après avoir soustrait le montant des travaux réalisés de la somme des loyers admis comme dus, la cour constate que la propriétaire doit 3 353 euros à la cliente de maître Chiche-Maizener. La propriétaire a en outre été condamnée à verser 2 000 euros au titre de l’article 700 de la procédure civile.

La locataire a subi un harcèlement de la part du neveu de la propriétaire, aujourd'hui décédée, pour récupérer la maison rénovée après Irma et la relouer à meilleur prix, ce qui a malheureusement conduit la locataire à déménager avant même que la décision de la Cour d'appel lui donnant raison soit rendue, indique l’avocate.

Estelle Gasnet