19.10.2020

Accusé de détournement de fonds, un pharmacien a été relaxé

Il était accusé d'avoir détourné plus de 800 000 euros. L’une des employés accusée de recel de bien, a aussi été relaxée.

Deux pharmaciens de Saint-Martin ont comparu jeudi dernier devant le tribunal de proximité de Saint-Martin ; l’affaire avait déjà été appelée une première fois fin janvier mais renvoyée. PPG, le propriétaire de l’officine, est accusé d’abus des biens d’une Sarl en tant que gérant ; CP, l’une de ses employés, est accusée de recel de bien provenant d’un abus de bien. Concrètement, il est reproché à PPG d’avoir détourné 801 945 euros entre janvier 2013 et août 2019 à des fins personnelles en demandant à CP d’effacer certaines transactions en espèces pour qu’elles n’apparaissent pas dans la comptabilité de la pharmacie. En contre partie, il payait son loyer à hauteur de 2 000 euros par mois. Il est reproché à CP d’avoir accepté une partie de l’argent qu’elle savait détourné.

Cette «comptabilité en parallèle» a été dénoncée par une ancienne salariée. Une enquête de gendarmerie a ainsi été ouverte, les deux protagonistes ont été placés en garde à vue fin août et début septembre 2019. Une perquisition a aussi eu lieu au sein du commerce  ainsi qu’une seconde, informatique, au sein des comptes.

A l’audience jeudi dernier, le fond de l’affaire n’a toutefois pas été examiné. Les deux avocats, maîtres Stephen Montravers et Jan-Marc Ferly ont soulevé des nullités visant l’annulation des poursuites de leur client. Avant même de discuter des actes reprochés et donc de chercher à prouver la non culpabilité de leur client, ils ont voulu montrer que les moyens utilisés lors de l’enquête n’ont pas été conformes au code de procédure pénale.

Ils ont en outre insisté à ce que les magistrats ne joignent pas l’incident au fond comme ils ont l’habitude de le faire, c’est-à-dire qu’ils n’examinent pas plus tard les arguments soulevés, mais se prononcent le jour même de l’audience. L’enjeu était alors grand : si le tribunal reconnaît les nullités soulevées, la procédure est annulée et par conséquent les poursuites également.

La garde à vue de la salariée, «l’arbre qui cache la forêt»

Maître Jan-Marc Ferly a longuement souligné que sa cliente a été placée en garde à vue pour un motif qui a servi de prétexte à mener l’enquête sur le détournement de fonds.

Fin août 2019, les gendarmes débarquent à la pharmacie, réalisent une perquisition et placent en garde à vue CP car ils la soupçonnent, à ce moment, de complicité d’exercice illégal de la médecine : elle délivrait des médicaments prescrits par un médecin de l’île qui n’était plus conventionné. Quelques questions sur le sujet lui sont posées puis «soudain on lui demande de s’exprimer sur la comptabilité en parallèle de la pharmacie». Pour le conseil, il n’y a aucun lien entre les deux faits.

Au moment de l’évocation d’une comptabilité en parallèle, les gendarmes auraient dû en informer le parquet qui aurait dû les autoriser à interroger CP sur ce fait. L’avocat affirme qu’une même garde à vue ne peut pas être menée pour deux délits différents. «Or à aucun moment on a notifié une garde à vue pour recel de biens à ma cliente, la seule garde à vue qui lui a été notifiée, est pour complicité illégale de médecine», a martelé maître Ferly. Pour lui, les informations recueillies au sujet de la comptabilité en parallèle, ne l’ont pas été dans un cadre légal, donc ne sont pas valables d’un point de vue juridique. Il a ainsi demandé l’annulation de la garde à vue, donc des poursuites non justifiées de sa cliente. «La garde à vue de la salariée est l’arbre qui cache la forêt», a enchaîné maître Stephen Montravers.

Pour les deux conseils, tout a été orchestré par le parquet «pour coincer » le pharmacien et trouver des preuves de sa culpabilité. «L’ordre de perquisition a été donné le 6 août, confirmé le 28 et exécuté le 29 août seulement. On attend ce jour car on sait que ce jour là, mon client, est absent», explique maître Montravers. «On a besoin d’un maillon faible, alors on va chercher la salariée quand le patron n’est pas là, pour la soumettre à un flot de questions puis on va cueillir le pharmacien sur la base des déclarations incriminantes de la salariée», commente-t-il.

L'audience suspendue pendant une heure pour délibérer

Lors de son audition, CP a notamment communiqué le mot de passe pour accéder à distance aux comptes de la société. Une seconde perquisition est alors réalisée mi-septembre «pour demander à la société comptable de faire parler le système». «La perquisition est réalisée à distance sans représentation de l’ordre des pharmaciens dont la présence est obligatoire pour s’assurer de la protection du secret médical», rappelle le conseil. Et cette perquisition informatique qui aurait permis au parquet et enquêteurs d’obtenir la preuve d’irrégularités dans la comptabilité et donc poursuivre les deux protagonistes.

Par ailleurs, maître Montravers fait valoir que 200 000 euros ont été saisis sur un compte bancaire de son client alors que cet argent correspondait aux indemnités d’assurance touchées après Irma. «Or seul l’argent soupçonné d’être détourné peut être saisi. Ici, on a la preuve de l’origine des 200 00 euros», a-t-il précisé.

Malgré l’argumentation des deux avocats durant plus d’une heure, le procureur a demandé aux juges de joindre l’incident au fond et d’étudier tout de même l’affaire.

Sollicité pour délibérer immédiatement par la défense, le tribunal s’est retiré pour réfléchir. Après une heure de suspension, l’audience a repris : le tribunal a confirmé l’irrégularité de la procédure et relaxé les deux prévenus. Les deux sommes saisies (200 000 euros et 41 595 euros qui se trouvaient dans le coffre de la pharmacie et qui avaient été confisqués) ont été rendues.

Estelle Gasnet