25.07.2018

Diagnostic de l’état du bâti à Saint-Martin et de la situation de ses occupants

Cette étude a été réalisée par un groupement d'architectes pour le compte de la COM et de l'Etat sur 2751 logements et 2516 personnes à Saint-Martin.

Lors du conseil territorial du mercredi 11 juillet, Magali Moulin, architecte et urbaniste en Guadeloupe est venue présenter les résultats du diagnostic du bâti qu’elle a effectué avec quatre de ses confrères et consoeurs entre mi-mars et mi-mai à Saint-Martin. « L’idée de l’étude était de faire un inventaire de l’état du bâti et de la situation des occupants. Elle a duré deux mois, avec une enquête de terrain de quatre semaines menée par cinq architectes accompagnés de quatre agents de la COM » a-t-elle déclaré en introduction.

Cette étude a été financée par l’Etat à hauteur de 100 000 euros et coordonnée par la délégation interministérielle à la reconstruction dans le cadre d’un partenariat étroit avec la collectivité. Les données, qui constituent un document interne, ont été mises à disposition de la COM début juin.

L’enquête, réalisée à travers un questionnaire établi en deux volets : un premier sur une enquête sociale réalisé à partir d’un échange avec les occupants, un deuxième à partir du diagnostic de bâti observé. Elle a porté sur 2751 logements et a permis de rencontrer 1707 ménages, représentant 2516 personnes dans cinq quartiers : Sandy Ground, Quartier d’Orléans, Saint James, Agrément et Grand-Case

La typologie des ménages

La taille moyenne des ménages enquêtés est de 1,5 personnes par foyer. Les petits ménages de 1 à 2 personnes sont les plus représentés. Beaucoup de familles sont encore séparées, les enfants sont partis suite à Irma pour leur scolarité. Parfois, un seul membre de la famille est resté pour reconstruire. Mais, on compte aussi 131 ménages de plus de 5 personnes. Et, une part importante de familles monoparentales, constituées d’une mère et ses enfants. Ces deux indicateurs (famille nombreuse et monoparentalité) représentent souvent des facteurs de vulnérabilités.

580 ménages interrogés, soit 34 %, ont indiqué au sein de leur foyer la présence d’au moins une personne montrant une vulnérabilité (personnes âgées, handicapés, jeunes enfants, maladies …). La présence de jeunes enfants et de personnes âgées représente près de 80 % des situations de vulnérabilités observées. 11,5 % des personnes interrogées ont répondu avoir bénéficié d’une aide (croix-rouge, secours catholique, carte cohésia,…), soit 197 foyers, représentant 557 personnes.

Statuts d’occupation et assurances 

Un statut d’occupation des logements plutôt homogène :

-50% de propriétaires (souvent regroupés sur un même terrain familial),

-48% de locataires,

-2% logés à titre gracieux.

Un niveau d’assurance extrêmement bas : seulement 3,4 % des occupants rencontrés sont assurés.

Certains propriétaires ont essayé de s’assurer avant Irma, mais n’avaient pas réussi par manque de titre de propriété. Le problème d’indivision qui caractérise fortement le foncier local, est un frein pour bénéficier d’un statut «officiel» de propriétaire, pouvant bloquer la possibilité de s’assurer.

Concernant les 48 % de locataires, malgré leur obligation d’assurance, aucune personne interrogée a dit être assurée. Beaucoup d’entre eux pensent être couverts par l’assurance des propriétaires.

Etat des logements

L’étude révèle que beaucoup de logements sont très endommagés et que les propriétaires n’y ont souvent fait aucun travaux. Les locataires y réalisent des travaux de sécurisation, souvent limités à des réparations sommaires peu pérennes (ex : repose de tôles récupérées avec des clous). Les enquêteurs ont recensé 221 personnes logées dans des conditions identifiées comme impropres à l’habitation (infiltration d’eau, pas de sanitaires, pas d’eau…) soit 15,8% des bâtis enquêtés. L’offre très limitée en logement réduit les possibilités de relogement et oblige les locataires à accepter des conditions de logement parfois indécentes, pour des loyers parfois élevés. « Parfois nous étions très étonnés quand on nous annonçait le prix du loyer » indique Magali Moulin.

Structures du bâti

La grande majorité des structures des bâtis observés sont en béton armé ou maçonnerie (87%). 17% des structures impactées sont identifiées comme fortement et très fortement endommagées ou détruites ( 9,7 % du bâti présente un danger : risque d’effondrement, dalle se désagrégeant, …).

Les dégâts se matérialisent par : de larges fissures, des chaînages très endommagés, des fondations à nu ou des façades maritimes arrachées sur certains îlots en front de mer.

Toitures

Parmi les habitations observées par les enquêteurs, les toitures en tôles prédominent (67%), contre 33% de dalles béton.

« La grande majorité ont des toitures légères. Mais les dalles bétons en question n’ont souvent pas été créées pour servir de toiture. Il s’agit surtout de planchers intermédiaires qui attendent un étage supérieur, ou alors on a une toiture légère qui est partie et une partie du logement dans laquelle les gens vivent qui est une dalle béton mais pas étanchée pour jouer ce rôle de toiture et aujourd’hui ce qu’on constate ce sont de très très fortes infiltrations avec des bétons qui se désagrègent sur les occupants » rapporte-t-elle.

Par ailleurs, 13.5 % du bâti étudié est encore bâché : 95 toitures entièrement bâchées et 271 partiellement. Les architectes ont évalué à 260 000 m2 minimum les besoins en tôle, selon le cadastre.

Ouvertures et menuiseries

Selon les enquêteurs, les ouvertures ont été moins impactées que les toitures. 68% sont peu ou moyennement endommagés. En revanche, les 30% fortement endommagés participent néanmoins fortement à la vulnérabilité des bâtis : problème de sécurisation des logements, ventilation très limitée… « Beaucoup de gens ont obstrué les fenêtres cassées ce qui entraîne en terme de ventilation notamment, un confort très précaire » précise Magali Moulin. Il est rare que les fenêtres comportent des occultants (12% de volets roulants, 14% de volets en bois), « alors que pourtant ça a été une bonne protection anticyclonique » note-t-elle.

Elle ajoute : « de façon générale, l’état des bâtis observés est très endommagé, la reconstruction plutôt lente et on remarque souvent des réparations sommaires qui nous font nous questionner sur la pérennité de certains logements en cas de coup de vent ».

9,7% des bâtis enquêtés présentent un danger soit 266. 152 personnes (95 ménages) habitent dans ces logements potentiellement dangereux

15,8% des bâtis sont impropres à l’usage d’habitation, soit 431. Tous ne sont pas occupés mais 221 personnes ont été comptabilisées dans ces logements lors des enquêtes sociales, soit 167 ménages

10% des bâtis pourraient faire l’objet d’une intervention potentielle par les compagnons bâtisseurs ou autre organisme (travaux essentiellement sur les toitures)

15% des abords des bâtis sont encore encombrés. « Il y a encore beaucoup de gravats qui entraînent des risques sanitaires car leur présence engage un peu les gens à rajouter leur ordures ménagères et incite au laisser-aller » rapporte Magali Moulin.

Pistes d’actions

« Après certains visites, on était ému. On avait l’embarras du choix sur les photos à vous montrer » confie-t-elle. « En terme de priorité, on vous propose cette cartographie de personnes presque à reloger qui vivent dans des conditions très difficiles, que l’on a catégorisées en trois éléments : celles qui peuvent être aidées par rapport à leur toiture, celles qui nécessitent plutôt une aide sociale et celles qui auraient surtout besoin d‘une aide matérielle car elles pourraient se mettre à l’abri si elles avaient plus de moyens à leur disposition » propose-t-elle aux élus. Le groupement d’architectes a identifié 165 logements pour une intervention prioritaire.

« L’idée aussi c’est que toute cette matière première, même si c’est un échantillonnage, puisse permettre de créer un outil de veille sur le bâti » poursuit-elle.

L’étude a révélé aussi, comme un peu partout apparemment, le fait que le cadastre n’était pas vraiment à jour. « On se retrouve face à des situations où une maison est indiquée sur le terrain et finalement on se rend compte qu’il y en a quatre, et inversement » souligne-t-elle avant d’ajouter qu’il faudrait actualiser ce support qui est à la base de l’aménagement du territoire pour qu’il reflète mieux la réalité.

L’étude révèle également que la notion de propriété est très imprécise chez les occupants. « Nous avons parfois dû expliquer ce qu’était être locataire ou propriétaire » rapporte l’architecte qui ajoute que parfois ni DP ni permis de construire n’avaient été déposés et qu’il faudrait faire une campagne de communication afin de responsabiliser la population sur l’acte de construire et d’informer, expliquer et réexpliquer les outils de l’urbanisme. Elle propose aussi aux autorités de mobiliser l’ARS afin que l’agence intervienne sur des logements soumis à des problèmes d’insalubrité. « Cette enquête pourtant courte nous a permis de récolter énormément de donnée désormais cartographiées et géo-référencées. Cette base de données n’aura d’intérêt que si vous la faites vivre » conclut-elle.

 

L’intégralité de la présentation du diagnostic est toujours disponible sur la page Facebook de la COM, dans la retransmission vidéo de la séance du conseil territorial (à partir de 2h40 et jusqu’à 3h10 environ)

 

Photos : captures d'écran de la retransmission vidéo de la présentation lors du conseil territorial

Fanny Fontan