04.06.2018

Lutte contre les violences conjugales : des solutions locales à inventer

Plusieurs associations et acteurs de terrain ont répondu à l’appel de deux gynécologues et se sont réunis pendant deux jours afin d’améliorer la prise en charge multidisciplinaire des victimes de violences conjugales.

Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son partenaire ou ex-partenaire, selon l’étude menée en France, en 2016, par la mission interministérielle de l'observatoire national des violences faites aux femmes. Cette année-là, 123 femmes et 34 hommes sont morts, victimes de leur conjoint(e), et les violences au sein du couple ont causé la mort de 25 enfants. 88% des victimes de violences conjugales sont des femmes. En France, trois femmes sur quatre déclarent avoir subi des faits répétés de violence, alors que huit femmes sur dix déclarent avoir été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales. Mais seule une femme sur cinq porterait plainte.*

« En Guadeloupe, la même année, on a enregistré 2600 plaintes pour violences conjugales et plus de 3000 appels reçus par les associations de proximité. Ils ne seraient que la partie immergée de l’iceberg » avance Annick Petrus, qui anime le pôle solidarité et famille de la COM. « Saint-Martin n’est pas épargnée » poursuit-elle en rappelant qu’ici, le tribunal juge souvent des affaires de violences conjugales. La 3ème vice-présidente de la COM était l’une des invités d’une conférence consacrée aux violences conjugales à la CCISM vendredi 1er juin à 17h30.

Au regard des statistiques et de leur expérience de terrain, les gynécologues Charles Vangeenderhuysen, (seul médecin légiste de Saint-Martin) et Michel Thene, ont souhaité réunir tous les acteurs locaux afin de réfléchir à comment améliorer la prise en charge des victimes de violences au sein du couple. « Nous avons suivi une formation sur la prise en charge des violences conjugales et on s’est rendu compte qu’il y avait énormément de choses à faire. Les femmes que nous avons l’occasion de voir, et moi peut-être un peu plus en tant que médecin légiste, on ne les prenait pas en charge de manière très multidisciplinaire »  souligne le Dr Vangeenderhuysen.

Deux journées pour améliorer la prise en charge des victimes sur le territoire

Pour y remédier, ils ont organisé deux journées de tables rondes, exposés et débats sur le thème des violences conjugales, à la CCISM, aidés de leurs partenaires parmi lesquels la COM, la préfecture, le centre hospitalier, la gendarmerie, l’éducation nationale, Trait d’Union, Le Manteau, Rotary Lions, Soroptimist et Maternité Active.

Le mercredi 30 mai, partenaires et acteurs de terrain sont intervenus pour partager leur expertise (personnel de santé, parquet, gendarmes, psychologues, membres d’associations…) en abordant l’aspect théorique, tandis que l’après-midi les échanges se sont focalisés sur la problématique à Saint-Martin. Les intervenants ont livré leur expérience dans le dépistage et la prise en charge des victimes et des agresseurs de violences conjugales.

La matinée du vendredi 1er juin a été consacrée à l’élaboration de mesures concrètes à proposer en complément de ce qui se fait déjà pour améliorer une prise en charge multidisciplinaire. Une conférence d’information a clôturé ces deux journées vendredi en fin d’après-midi. « Tous les partenaires ont répondu présent et tout le monde a joué le jeu, maintenant reste à mettre en place des actions concrètes » se réjouit le médecin légiste.

L’une des premières concrétisations de ce partenariat dans les gestion des victimes et des agresseurs  réside dans la création d’un répertoire des personnes ressources, puis la mise en place d’un protocole clair entre les gendarmes, l’hôpital etc…pour savoir qui fait quoi, comment et quand en cas de violences conjugales.  « Parce que si certains professionnels se taisent c’est parce qu’ils ne savent pas quoi faire lorsqu’ils sont face à un problème de violences conjugales » souligne le Dr Vangeenderhuysen.

La création d’un centre d’hébergement d’urgence pour les victimes : une nécessité

L’idée de ce séminaire, c’était « d’acter ce qui existe. Puis il va falloir inventer » résume Michel Thene. Ces réunions ont surtout mis en évidence le manque de structures et de moyens pour lutter localement contre ces violences. En particulier, l’absence d’hébergement d’urgence pour accueillir les victimes et leurs enfants. Actuellement, seul le Manteau procède à des hébergements d’urgence, mais l’association n’a que six lits à répartir entre les femmes et les enfants, ce qui n’est évidemment pas suffisant. Pour l’heure les victimes n’ont de répit que lorsque leur agresseur est en garde à vue.

Jean-Marie Thévenet, le directeur de Trait d’Union a été sollicité par les deux médecins depuis le mois d’avril pour les aider à mettre en œuvre ces journées et déterminer les sujets abordés. Cette action s’inscrit en effet dans les missions de l’association, mais cette fois, en amont des faits. Trait d’Union travaille pour l’ensemble des victimes d’infractions pénales et offre une prise en charge globale : information juridique, mise en œuvre d’orientations sociales, et éventuellement accompagnement psychologique. « Le centre d’hébergement d’urgence est un projet que l’on espère voir naître de ces discussions car il est nécessaire. Il peut aussi revêtir la forme de chambres d’hôtel mises à disposition. » propose-t-il.

D’ici-là, Michel Thene considère que c’est également à la société civile de s’impliquer. Notamment pour sensibiliser les plus jeunes. S’ils ne sont pas toujours des victimes directes de ces violences intrafamiliales, les enfants qui en sont les témoins ont de fortes probabilités de devenir à leur tour, une fois adultes, agresseurs ou victimes. « Les violences conjugales c’est un problème de la société civile mais on a l’impression que c’est le problème des autres et qu’il faut que ce soit la société qui le prenne en charge. Mais la société c’est tout le monde. On voudrait arriver à dynamiser les gens, qu’ils se disent : on va mener des actions, mettre des affiches, faire participer les enfants comme le fait déjà dans les écoles l’adjudant de la BPDJ Pascale Vers… Quand on plante un arbre c’est pas pour soi, c’est pour la génération d’après. Il faut comprendre que le phénomène d’emprise ça existe, ce qui explique pourquoi beaucoup de victimes ne portent pas plainte. La compréhension des mécanismes, non seulement par les professionnels mais aussi tout le monde, va libérer la parole et permettre de changer. Une femme qui ne part pas pour ses enfants va comprendre que c’est justement pour ses enfants qu’elle doit partir. ». Et de conclure : « On essaie de reproduire un modèle qui a été fait en métropole et en même temps on nous dit qu’on est différent. Alors faisons différemment. L’idée c’est d’être un peu acteur de ce qui se passe, même si c’est compliqué. »

Fanny Fontan