19.08.2025

EEASM : des décisions de la préfecture concernant le retrait d'une subvention annulées

Les réseaux d'eau potable et d'assainissement ont été endommagés par le passage de l'ouragan Irma, imposant à l'établissement des eaux et de l'assainissement de Saint-Martin (EEASM) la réalisation d'importants travaux de réfection, notamment la remise en place des compteurs et des branchements d'eau potable.

En parallèle, la France a sollicité une aide auprès de l'Europe dans le cadre du fonds de solidarité (FSUE) pour financer - entre autres - ces travaux. En avril 2018, le préfet de Guadeloupe et la Collectivité de Saint-Martin ont signé une convention-cadre afin de définir les conditions et modalités de versement d'une partie de cette aide et de remboursement des dépenses éligibles.

Selon cette convention, l'EEASM a envoyé à la préfecture trois rapports d'exécution de travaux. Le premier est adressé en octobre 2018 pour un montant de 1,349 million d'euros ; il est bien reçu et fin novembre, la somme de 1,316 million est versée à l'EEASM au titre de l'aide du FSUE. Les deuxième et troisième rapports sont envoyés en juin et octobre 2019 pour un montant global de 4,49 millions d'euros (2,167 millions et 2,325 millions).

Dix jours après l'envoi du dernier rapport, le préfet informe l'EEASM que seuls 602 425 euros sur les 4,49 M€, sont éligibles aux fonds européens et ajoute que les dépenses financées par la première aide versée un an plus tôt, ne le sont, en fait, pas. Et demande alors à l'EEASM de rembourser le trop perçu, soit 714 302 euros.

L'année suivante, en août 2020, le préfet s'aperçoit aussi que cette décision n'a pas été communiquée dans les règles de l'art, la retire et notifie correctement en octobre 2020 à l'EEASM la non éligibilité au FSUE de la dépense de 1,316 million d'euros.

En 2020 également, l'EEASM saisit le tribunal administratif de Guadeloupe pour solliciter l'annulation de la décision préfectorale (précisément le fait que l'ensemble des dépenses des rapports 2 et 3 ne soit pas éligible, ni celles du premier rapport et le remboursement le trop perçu). De plus, l'EEASM qui avait entre temps sollicité d'autres subventions, demande au tribunal d'ordonner au préfet de les lui verser. En décembre 2022, le tribunal rejette toutes les requêtes de l'EEASM qui fait alors appel.

Le dossier a donc été réexaminé par la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Ce qui a poussé le préfet de Guadeloupe à notifier l'inéligibilité des premières dépenses (1,316 million) est le non respect des règles de la commande publique pour l'exécution de ces travaux. Il est reproché à l'EEASM de ne pas avoir passé de publicité pour sélectionner les deux entreprises qui ont travaillé après des actes d'engagement pris en décembre 2017.

Pour rappel, juste après le passage de l'ouragan, des dérogations avaient été accordées par Paris pour effectuer des travaux en urgence sans mise en concurrence des entreprises. En ce sens, l'EEASM avait demandé à la préfecture en octobre 2017 de valider la possibilité, pour conclure les contrats de remise en état des branchements d'eau potable, de recourir à cette procédure dite de l'urgence impérieuse. Si la préfète avait répondu qu'elle ne pouvait donner un accord écrit, elle avait précisé que «le contrôle de légalité relatif à ce marché [serait] regardé avec toute la souplesse nécessaire compte-tenu de la situation».

A l'examen des éléments fournis par les deux parties, la cour administrative d'appel constate que c'est dans ce contexte que l'EEASM a déposé en avril 2018 une demande de subvention et qu'en décembre 2018, le préfet de Guadeloupe lui a accordé une subvention tout en sachant qu'aucune publicité et mise en concurrence n'avait été faite. Et ce n'est qu'en juillet 2019, qu'une note de Paris affirme que «l'urgence impérieuse n'est pas démontrée pour les dépenses postérieures au 9 octobre 2017» ; une note qui a contraint le préfet de Guadeloupe à revenir sur sa décision : les dépenses ayant fait l'objet d'une aide fin 2018, ne sont en fait pas éligibles car les travaux ont été exécutés après le 9 octobre 2017 et à ce moment là, une mise en concurrence des entreprises était obligatoire.

Si le tribunal de Guadeloupe avait suivi cet avis, la cour administrative d'appel de Bordeaux ne le partage pas. «Alors que le ministre de l'intérieur se borne à affirmer que la téléphonie mobile a été rétablie sur l'île dès la fin du mois de septembre 2017, et l'électricité rétablie à 80 % dès le 10 octobre 2017, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation d'urgence impérieuse avait cessé le 9 octobre 2017 et à la date de conclusion des marchés en cause», écrit-elle dans son jugement rendu le 11 juillet dernier. Aussi le préfet ne pouvait-il pas annuler une subvention plus de quatre mois (délai légal) après son octroi.

La cour estime que les décisions du préfet de retirer l'aide de 1,316 million d'euros étaient illégales et les a annulées de même que le jugement du tribunal de Guadeloupe. Elle a en outre condamné l'Etat à verser les fameux 602 425 euros au titre des dépenses qu'il avait considérées éligibles, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2019 et capitalisation des intérêts à partir de l'année suivante. En revanche, la cour a rejeté la demande de l'EEASM à condamner l'Etat à lui verser l'intégralité des subventions complémentaires sollicitées (4,49 millions), 1,31 million au titre d'un préjudice et 5,65 millions d'indemnisation.

Concernant les 714 302 euros que l'EEASM devait rembourser, il ne les avait pas rendus et l'Etat n'avait jamais entamé de procédure de recouvrement.

Estelle Gasnet