Marché de la collecte des sargasses : la COM attaquée en justice plusieurs fois par deux sociétés
Tribunaux administratifs de Paris, de Guadeloupe, de Saint-Martin, Conseil d'Etat. Deux sociétés basées à Saint-Martin et gérées par la même personne, multiplient les recours depuis 2023 auprès de ces instances pour tenter de comprendre l'attribution du marché public de la collecte et du transport des sargasses attribué par la Collectivité à deux entreprises locales et dénoncer ces marchés.
Contexte des recours en justice
En janvier 2023, la Collectivité lance deux procédures d'appel d'offres pour d'une part la collecte, l'enlèvement et le transport des algues sargasses échouées sur le littoral, d'autre part pour la fournitures de matériels et équipements relatifs à la lutte contre les échouements de sargasses (caméras, détecteurs de gaz, sections de barrages, véhicules dédiés à l'entretien des barrages). Plusieurs entreprises répondent et proposent sur une offre ; parmi lesquelles Sea Protect Caraïbes et Terra Sea Loc Caraïbes.
Trois mois plus tard, en mars 2023, le président de la COM déclare sans suite la procédure de passation pour ces deux marchés car la COM aurait subi «une cyberattaque», ce qui l'aurait ainsi empêché d'apporter les renseignements complémentaires demandés par certains candidats.
Ensuite en mars/avril 2024, la COM attribue un accord-cadre à bons de commande relatif à la collecte et l'évacuation des sargasses.
Recours en 2023 à Saint-Martin
- Etat des plages et efficacité des mesures prises
Les sociétés Sea Protect Caraïbes et Terra Sea Loc Caraïbes saisissent une première fois le tribunal administratif de Saint-Martin et lui demande de «désigner un expert maritime pour se prononcer sur la constatation de l'état des plages de Grand Caye, de l'embarcadère Pinel, de la Baie Orientale, de l'Etang aux poissons ainsi que de la Baie Lucas, sur l'utilisation d'engins de travaux publics sur le domaine public maritime, sur l'évaluation de la conformité de la procédure d'attribution de la subvention de la collectivité de Saint-Martin pour le ramassage des algues sargasses ainsi que sur l'utilisation des fonds alloués et l'efficacité des mesures mises en place pour le ramassage des algues sargasses».
Le tribunal ayant rejeté les requêtes, la gérante des deux sociétés fait appel (au nom d'une seule société cette fois). Mais la cour administrative d'appel de Bordeaux rejette également, en décembre 2023, la demande car une disposition dans la démarche n'a pas été respectée.
- Annulation des procédures suite à la cyberattaque
En octobre 2023, les deux sociétés saisissent de nouveau le tribunal administratif de Saint-Martin afin, cette fois, qu'il annule les décisions du président de la COM de mars 2023, soit celles qui ont abrogé les procédures de marchés publics à cause de la cyberattaque. En avril 2024, le tribunal reçoit favorablement la requête.
Ce dernier explique que le président de la COM n'avait pas le droit de déclarer sans suite la procédure d'attribution d'un marché au nom de la COM «sans avoir été préalablement autorisé par une délibération expresse du conseil territorial». Or, il ne l'a pas été. Le président ou la COM n'a pas non plus fourni, aux candidats des deux appels d'offre, la preuve de la survenance d'une éventuelle cyberattaque pour justifier la décision d'annulation des deux procédures.
Aussi le tribunal administratif de Saint-Martin a-t-il annulé la décision du président de mars 2023. En revanche, les magistrats n'ont pas fait suite aux demandes d'indemnisation des sociétés Sea Protect et Terra Loc Caraïbes à hauteur de 15,96 millions d'euros au titre des pertes d'exploitation résultant de l'annulation des deux procédures. Pour le tribunal, il n'y a aucun élément permettant de dire qu'elles auraient obtenu les lots sollicités et donc perdu de l'argent.
Recours à Paris puis à Saint-Martin
- Agissement du président
En 2023, la gérante a saisi à deux reprises le tribunal administratif de Paris pour, d'une part, «ordonner une expertise portant sur les agissements du président de la collectivité dans le cadre de l'attribution de marchés publics», d'autre part, pour «ordonner une expertise, aux fins de constater des faits intervenus dans le cadre de l'attribution de deux marchés publics de ramassage d'algues». Dans les deux cas, le tribunal administratif de Paris a, en décembre 2023, transmis le dossier au tribunal administratif de Saint-Martin qui est compétent.
Le tribunal de Saint-Martin rejettera en avril 2024 la requête portant sur les agissements du président et la dénonciation de délits (recel de favoritisme, discrimination, etc.) car les faits cités relèvent du pénal. La décision sera confirmée en appel en octobre 2024.
En octobre 2024, le tribunal administratif de Saint-Martin a été sollicité deux fois pour «examiner la procédure de marché public relatif à la gestion des échouements de sargasses, initialement publié en 2023 et réintroduit en 2024» et étudier une demande d'indemnisation «résultant de nombreux délits (favoritisme,etc.).
Selon la société Sea Protect Caraïbes, les procédures administratives ne sont pas respectées laissant présumer l'existence d'escroqueries. Mais «il n'appartient qu'au juge pénal de se prononcer sur une telle demande », considère le tribunal administratif qui rejette les deux requêtes en novembre 2024.
- Accord-cadre à bons de commande
En décembre 2024, le tribunal administratif de Paris est saisi par les deux sociétés. La gérante lui demande notamment l'annulation de la seconde décision de la COM, soit celle d'avril relative à l'accord-cadre à bons de commande, et d'enjoindre le préfet et la COM de lui transmettre les contrats d'attribution desdits marchés, rapports d'exécution, de signaler des faits de détournements de fonds publics, de favoritisme et de délit d'initié au parquet national financier, d'enjoindre le dépaysement immédiat de l'affaire vers une juridiction extérieure. Comme pour les autres dossiers, le tribunal administratif de Paris a transmis cette nouvelle demande au tribunal administratif de Saint-Martin.
Recours en Guadeloupe
En février 2024, les deux sociétés ont sollicité le tribunal administratif de Guadeloupe afin qu'il ordonne à la COM et au préfet de lui «transmettre des documents spécifiques en lien avec les marchés publics et autorisations nécessaires pour la collecte» des sargasses ; documents qu'elle a déjà demandés directement auprès des autorités mais en vain. Le tribunal administratif de Guadeloupe a rejeté la demande car elle est du ressort du tribunal de Saint-Martin auprès de qui le dossier va être transmis.
Récentes décisions du Conseil d'Etat
La dernière décision est récente, elle date du 29 avril dernier et a été émise par le juge des référés du Conseil d'Etat. Quatre jours plus tôt, la gérante des deux sociétés lui avait demandé «d'ordonner la prise en charge d'un dossier concernant une affaire de corruption à Saint-Martin par une autorité judiciaire compétente, avec retrait des procureurs en fonction à Basse-Terre ; de solliciter toute mesure d'investigation immédiate sur les faits rapportés ; d'enjoindre aux autorités compétentes d'assurer l'ouverture d'une instruction pénale effective et impartiale ; d'avertir les instances européennes du risque systémique encouru en matière de gestion des fonds communautaires». La requête a été rejetée car les demandes ne sont pas de la compétence du Conseil d'Etat.
En début d'année, la gérante des deux sociétés avait déjà saisi le juge des référés du Conseil d'Etat pour lui demander de suspendre la décision d'avril 2024 portant sur l'attribution du marché de la COM, de condamner les deux sociétés qui ont obtenu le marché de rembourser les «sommes indûment perçues depuis septembre 2022», d'ordonner une expertise judiciaire pour évaluer les préjudices subis, de signaler les irrégularités à l'autorité compétence, de l'indemniser et de lui octroyer une provision immédiate de 15,96 millions d'euros.
La gérante fait notamment valoir «un doute sérieux quant à la légalité» du marché public et que «le procès-verbal de la préfecture, produit pour légitimer le marché, est un document falsifié ». Aussi considère-t-elle que les sommes versées par la COM aux entreprises qui ont obtenu le marché représentent «un préjudice irréparable aux finances publiques et européennes ». Le juge des référés a rejeté les demandes de la gérante car elles ne relèvent pas de sa compétence.
(photo d'archive)