27.04.2016

Un sommet caribéen de la jeunesse à Saint-Martin ?

Militante associative, journaliste, femme politique, la Guadeloupéenne Mélina Seymour, 34 ans, est venue présenter son livre sur la jeunesse d'Outre-mer à la médiathèque territoriale mardi soir après avoir fait le tour des établissements scolaires de l'île. Interview.

Comment est né votre livre Jeunes d'Outre-mer, le cas de la Guadeloupe paru aux Editions Nestor en février 2016 ?

J'ai eu l'idée d'écrire ce livre il y a 4 ans, alors que je vivais à Paris dans le 19e. J'ai rencontré de nombreux jeunes Français d'Outre-mer : Réunionnais, Polynésiens, Guyanais, Martiniquais et d'autres jeunes Guadeloupéens. Nous parlions des possibilités d'agir et d'interagir dans nos territoires. Nous regrettions le fait de quitter nos îles respectives pour faire profiter à d'autres de nos compétences et notre savoir. Il est vrai encore aujourd'hui que partir ailleurs ouvre le champs des possibles : éducatifs, professionnels, culturels...Nous sommes Français des "Outre-mer", comme un sentiment de ne pas faire complètement partie de cet ensemble national. J'ai donc ressenti le besoin d'écrire sur nous : jeunes des Outre-mer français. Et sur les cas de la Guadeloupe en raison de mon île d'origine. J'ai écrit ce livre intégralement au mois de janvier 2016, après une année de campagne électorale riche en rencontres et en propositions politiques.

Quelles difficultés traversent les jeunes d’Outre-mer que ne traversent pas ceux de métropole par exemple ? Quelles sont celles particulières à la Guadeloupe ? Quelles sont vos propositions pour y remédier ?

Les handicaps sont essentiellement structurels. La distance géographique entre des décisions politiques prises à Paris et appliquées sans tenir compte des particularités des pays d'Outre-mer. L'exiguïté de nos territoires. En France hexagonale, un jeune Picard peut partir faire des études à Bordeaux en prenant le TVG, se déplacer d'un point à un autre en étant sur le même territoire. Ce déplacement est moins contraignant que pour ceux qui vivent en Outre-mer. Le cas de la Guadeloupe, composée de 6 îles entre la Désirade, Marie-Galante, Les Saintes, Basse-Terre et Grande-Terre, est très démonstratif. Nous avons un transport maritime, aérien et terrestre qui a une forte marge de progression pour atteindre un niveau optimal, afin de répondre aux besoins de mobilité des populations. Beaucoup reste à faire. Le chômage en Guadeloupe atteint des sommets : soit 56% chez les jeunes. Les actes de violences, règlements de comptes, trafic de stupéfiants... s'installent dans notre société, sans pour autant avoir les moyens de lutter durablement contre ces phénomènes. Je fais vingt préconisations dans mon ouvrage, réalisables le temps d'une mandature, dans les domaines de l'insertion, de la santé etc.

Militante associative et politique ainsi que journaliste, pourquoi écrire un livre ? Que permet le livre en tant que support ?

En politique on parle beaucoup, mais très peu d'actions se concrétisent. Le livre est un marqueur, un outil de référence, une production à la disposition du plus grand nombre. C'est aussi un outil de travail qui me permet d'aller à la rencontre de ceux qui s'intéressent aux politiques publiques en faveur des jeunes. Le livre m'ouvre les portes qui m'étaient fermées jusqu'ici. J'arrive à pénétrer des lieux où la parole politique n'est plus la bienvenue.

Vous avez déclaré au sujet de votre livre : "Il s'inscrit dans une manière d'écrire qui se veut originale. Il est fait de cassures qui sont autant de pierres à l'édifice qu'il veut être". Pourriez-vous en dire un peu plus ?

Jeunes d'Outre-mer, le cas de la Guadeloupe, est un livre que j'ai écrit comme un reportage vidéo ou audio. C'est aussi la suite réservée à cet ouvrage : sa traduction en image. Je rencontre des jeunes qui ont réussi ou qui se battent pour réussir. J'ai rencontré des universitaires et des jeunes "camés" ainsi que plusieurs jeunes acteurs auprès d'eux, afin que cette production rapporte au plus près la réalité. J'y formule des propositions cohérentes pour améliorer les politiques publiques en faveur de la jeunesse.

Vous êtes à Saint-Martin depuis quelques jours à la rencontre des jeunes de l’île. Quelle est votre première impression ? Que retenez-vous du débat à la médiathèque (qui a eu lieu hier soir) ? De prime abord, en quoi leur situation peut-elle se rapprocher de celles des jeunes guadeloupéens ? En quoi diffère-t-elle ?

J'ai fait des interventions dans cinq établissements scolaires publics (lycées et collèges), dans le cadre de la campagne contre la violence à l'intérieur et à l'extérieur des écoles. Il y a une jeunesse multi culturelle, multi ethnique avec des atouts multiples. Il y a aussi une misère sociale, de la promiscuité, des pratiques et des codes qui correspondent aux plus de 110 nationalités qui se côtoient sur l'île. J'ai vu et entendu lors de la présentation de mon livre à la médiathèque, mais aussi dans les établissements scolaires dans lesquels j'ai eu l'honneur d'intervenir, des parents et des professionnels épuisés par la tâche auprès des jeunes, mais extrêmement motivés. Les manques de moyens sont réels, mais ils font de leur mieux pour répondre aux problématiques qui sont autant de chocs, que de situations à gérer. J'aime cette jeunesse saint-martinoise, ouverte sur le monde, trilingue, profondément caribéenne. Je travaille actuellement sur "Le sommet caribéen de la jeunesse". J'aimerais beaucoup que cet événement se tienne à Saint-Martin, car il y a déjà sur l'île une telle palette de jeunes Caribéens : Haïtiens, Dominiquais, Dominicains, Anguillais, Martiniquais, Guadeloupéens etc...que c'est le lieu idéal pour accueillir la jeunesse caribéenne dans le cadre de journées de travail.

Vous appartenez à la génération dite Y. Qu’est ce que cela signifie pour vous ?

Une génération sacrifiée, qui paie les erreurs de ses aînés. Tant sur l'aspect politique qu'économique. Nous avons la lourde tâche de régler toutes les gabegies de ceux qui nous dirigent depuis les 30 ou 50 dernières années. Une génération qu'on n'écoute pas et qui pourtant bénéficie de moyens de communication comme jamais ça n'a existé. Je fais partie d'une génération qui a tout pour réussir, mais freinée par certains qui ont échoués. Il y a des luttes sociales nécessaires qui ont été gagnées par nos aînés. Je le reconnais. Mais, épuisés sans doute, il est temps d'accompagner une nouvelle génération dans la suite des grands défis à venir. C'est la génération Y et les Digital native qui prendront le relais. Frantz Fanon a dit "chaque génération doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir".

Quels sont vos projets ? Un livre sur Saint-Martin ?

L'écriture d'autres ouvrages pour parler et laisser parler la population. Libérer la parole est une mission de service public, tant la liberté d'expression et de pensée me semble bafouée en ce moment. En témoignent toutes les affaires auxquelles sont confrontés les journalistes et lanceurs d'alertes du monde entier. Un livre avec la jeunesse saint-martinoise est une idée que je vais matérialiser avant "Le sommet caribéen de la jeunesse" d'ici la fin de l'année.

 

Plus d'infos et de photos de ses rencontres à Saint-Martin sur son site et sur Facebook

Fanny Fontan