03.02.2016

La fin du roaming : pourquoi est-elle difficile à appliquer

Annoncée au 1er janvier de cette année, la fin du roaming a été reportée au 1er mai prochain en raison des difficultés et des enjeux économiques que cette décision soulève.

 

 Le secrétariat d’État chargé du numérique a sollicité l’avis l'Arcep, le gendarme des télécommunications sur les conséquences d’une telle mesure « sur l’économie des marchés de services de communications électroniques ultramarins ainsi que sur les opérateurs concernés ». Et ces conséquences peuvent être très importantes s'il n'y a pas un accompagnement des opérateurs locaux.

Quel est le contexte ?

Lorsqu'un client ultramarin téléphone depuis un autre territoire outre-mer ou de métropole, il doit payer un surcoût, c'est ce que l'on appelle les frais d'itinérance, le roaming. Depuis des années, les usagers des outre-mer dénoncent cette situation car ils sont pénalisés à la différence d'un Parisien qui, allant à Marseille, n'a pas de surcoût sur son forfait de téléphone. Le 16 juillet 2015, l’Assemblée nationale a donc adopté, au cours de l’examen du projet de loi d’actualisation du droit des outre-mer, le principe que ces «surcoûts de l'itinérance ultramarine» seraient supprimés pour «les communications vocales et les minimessages à compter du 1er janvier 2016». Une décision qui anticipe une directive européenne qui sera applicable en 2017.

Pourquoi existe-t-il un roaming ?

En appelant de Paris, l'ultramarin dont l'opérateur est A, utilise le réseau d'un autre opérateur, B, ce qui représente un coût pour ce dernier. Selon des accords, B facture ainsi à A la prestation dite d'itinérance ou la mise à disposition de son réseau, c'est ce que l'on appelle dans le jargon des télécommunications le « marché de gros ». Ces prestations sont régulées partout en Europe, dont en outre-mer, avec des plafonds tarifaires qui définissent des prix maximaux entre opérateurs.

Quelle est la conséquence de la suppression du roaming pour le client ?

Cela signifie que les ultramarins peuvent téléphoner n'importe où en métropole ou en outre-mer sans avoir payé plus. Et inversement. A noter que le service de données (« data »), qui permet en particulier d’accéder à internet, n’est pas concerné par cette mesure.

Quelle est la conséquence de la suppression du roaming pour les opérateurs locaux ?

Si les frais d'itinérance au client sont supprimés, ils ne le sont pas pour l'opérateur visité. Concrètement, le client de l'opérateur A utilise le réseau de l'opérateur B sans payer ; un système qui trouve rapidement ses limites. Afin de bien comprendre l'Arcep a fait une comparaison avec le transport : un Lyonnais qui a une carte de transport pour sa ville, ne peut pas voyager gratuitement sur le réseau de Nice au prétexte qu'il a une carte à Lyon. Soit il doit acheter une carte à Nice, soit les deux gestionnaires des transports ont des accords permettant à leurs clients respectifs d'utiliser les deux réseaux et donc de participer ensemble à l'entretien des réseaux. Si ce n'est pas le cas, les clients iraient acheter des cartes dans la ville pratiquant les tarifs les moins chers pour en jouir dans celle dont les tarifs sont les plus chers. En matière de téléphonie, c'est la même chose. Entretenir un réseau a un coût, c'est pourquoi l'usage d'un réseau est facturé. Et doit l'être par l'ensemble des utilisateurs, pas uniquement par les clients du propriétaire dudit réseau. Or, selon la décision adoptée par l'Assemblée nationale en juillet dernier, ce principe n'existe pas. En d'autres termes, tel que l'article a été voté, un ultramarin de passage en métropole, peut y souscrire un forfait (beaucoup plus avantageux) et en jouir pleinement en outre-mer. Sans frais supplémentaires ; ces derniers étant supportés uniquement par l'opérateur local qui deviendrait l'opérateur visité.

Comment limiter les dangers pour les opérateurs locaux ?

L'Europe l'a compris et c'est pourquoi elle a décidé de reporter sa décision de supprimer les frais d'itinérance, le temps de trouver des solutions empêchant les «utilisations abusives ou anormales de l’itinérance». La France, elle, a été mise en garde par le gendarme des télécommunications qui a fortement conseillé de prendre des mesures d'accompagnements. «En l’absence de telles mesures, l’interdiction de la sur-tarification d’itinérance est extrêmement délicate et risque d’emporter des conséquences néfastes pour les consommateurs», note l'Arcep qui estime en outre que les opérateurs ultramarins pourraient perdre des clients «dans des proportions notables». A l'inverse, les opérateurs métropolitains qui, en récupérant les clients ultramarins, auront à payer les frais d'itinérance aux opérateurs locaux, ce qui générera «des coûts bien supérieurs» aux coûts aujourd'hui engendrés par les touristes qui vont en vacances en outre-mer. L'Arcep craint par ailleurs une hausse des tarifs du «marché de gros» au détriment des opérateurs indépendants. Ces derniers sont «obligés de négocier des tarifs avec les opérateurs métropolitains, y compris Orange et SFR, avec lesquels ils sont en concurrence sur leur propre marché. (...) L’incitation pour Orange et SFR à leur proposer des tarifs bas est donc faible, et la fragilisation des acteurs indépendants pourrait, à terme, mener à des duopoles sur chacun des marchés concernés au détriment des utilisateurs finaux», fait remarquer l'Arcep qui incite à une «révision de la régulation du marché de gros pour assurer la loyauté des conditions de concurrence».

Ce que l'Europe a prévu suite à la mise en lumière des conséquences similaires pour la fin du roaming entre pays européens

Un accord politique a été trouvé au niveau européen pour permettre aux voyageurs d’utiliser, sans surcoût, leur téléphone mobile lorsqu’ils se déplacent au sein de l’Union, à compter du 15 juin 2017. Afin de rendre cette obligation soutenable et éviter d’emporter des conséquences néfastes, des mesures d’accompagnement sont prévues par le projet de règlement européen :

  • l’application de conditions d’utilisation raisonnable sur le marché de détail pour éviter toute utilisation abusive ou anormale des services d’itinérance,
  • une possibilité d’exemption pour certains opérateurs dans ces circonstances exceptionnelles, afin d’éviter que le règlement ne fragilise excessivement certains modèles économiques,
  • - enfin et de manière essentielle, le texte prévoit une révision préalable du cadre applicable au marché de gros de l’itinérance, qui pourrait notamment conduire à une modification des tarifs réglementés de l’itinérance entre opérateurs.
Estelle Gasnet