Max Rippon : "Saint-Martin est une patrie intime"
Dans le cadre de la quinzième édition du salon du livre de Saint-Martin, Max Rippon, poète de Marie-Galante, est allé à la rencontre des élèves du lycée professionnel jeudi 1er juin. Il a présenté Regards, son dernier ouvrage publié en 2013, aux élèves de 1ere gestion administration qui ont étudié ses poèmes ainsi qu’à une classe ULIS et des élèves de première et terminale électrotechnique. Nous en avons profité pour l’interviewer.
Quel est l'objet de votre présence aujourd'hui ?
Je suis là dans le cadre du Saint-Martin Book Fair dont je suis l’un des pères organisateurs. Je viens aujourd’hui rencontrer les jeunes avec mon dernier ouvrage Regards, pour parler de la notion de voir et de regarder à partir de mon expérience sur Marie-Galante. C’est aussi un prétexte à la parole plus large pour parler avec eux du rôle du poète, de l’artiste, du créateur, dans un espace qui est le monde en construction. Ça me paraissait important d’être là avec eux.
Pourquoi justement cela vous semblait important de venir à la rencontre des jeunes de Saint-Martin ?
C’est important à deux titres. D’abord parce qu’à 73 ans, j’ai l’expérience de l’âge qui permet de rencontrer un jeune avec un temps d’écart pour tenter de le comprendre et de lui apporter quand même quelque chose. D’autre part parce que Saint-Martin c’est une terre que j’ai en grande affection. Une patrie intime on pourrait dire puisque je fréquente Saint-Martin depuis des dizaines d’années. Je suis l’un des pères fondateurs du salon, ce Book Fair, que j’accompagne depuis quinze ans régulièrement. Jusqu’à faire l’effort cette année, pour les quinze ans du Book Fair, de ne pas être à Marie-Galante où se déroule le festival Terres de Blues dont je suis aussi l’un des fondateurs.
Vous préparez un livre sur Saint-Martin. De quoi parle-t-il ?
J’ai eu l’avantage, étant jeune au lycée Carnot, de partager mon temps avec beaucoup de camarades de Saint-Martin. Certains sont revenus pour exercer comme médecin ou d’autres professions. J’ai envie d’inclure ce parcours-là de l’archipel reconstitué au lycée Carnot pour dire un peu comment nous étions dans un patchwork, des nous-mêmes différents dans le lycée. Comme un creuset du savoir. Et dire un peu comment nous percevions les Saint-Martinois quand nous étions pensionnaires. Ils étaient différents de nous par leur coupe de cheveux, les produits alimentaires... Ils mangeaient du beurre de cacahuète que nous ne connaissions pas. Ils avaient des produits pour les cheveux que nous ne connaissions pas. Il y avait un commerce entre eux et nous et nous nous envoyions des choses et aussi nous partagions nos connaissances. Et puis c’est un clin d’œil pour certains de ces amis-là qui sont décédés. Je veux dire avant qu'il soit trop tard dire qu’il y a un temps où nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes fédérés et nous avons donné au pays une sorte de résultante des contradictions. Je suis tellement attaché à Saint-Martin que mon but en tant qu'écrivain est de plaider par l’action, dans un ouvrage qui sortira en langue saint-martinoise puis sera traduit en français.
Vous allez écrire en langue saint-martinoise ou vous le ferez traduire ?
J’aurai une main complice. Une Saint-martinoise, née en Guadeloupe, créolophone qui a étudié à Saint-Martin, vit à Anguilla, qui est prof de français dans l’espace caribéen anglophone et qui à mon avis réunit toutes les qualités pour être mon double dans ce travail-là. Elle s’appelle Rita.
S’agira-t-il d’un roman ?
Je ne dis pas roman je dis racontage. Parce que ma manière d’écrire n'est pas un roman. Je raconte des choses avec le caprice des eaux pluviales. Les gouttelettes qui tombent du ciel, enfantant des nuages. Certaines gouttelettes ont la dureté de rencontrer une toiture et épousent les rigoles. Elles empruntent le parcours de la gouttière, le parcours indélicat pour arriver dans un puits. D’autres gouttelettes d’eau, peut-être plus vagabondes, vont tomber dans la nature et être absorbées par les fentes assoiffées de la terre. D’autres vont arriver à saturation et vont couler. Ça fera un petit ruisseau. Ça fera un petit étang. Ça fera une rivière. Ça fera des étiers. Ça fera tout ce parcours-là et ça va arriver à la mer.
A la manière des Antilles quand on donne un renseignement, une adresse par exemple. On dit l’adresse avec des détails qui sont parfois insignifiants. C’est à travers ces détails insignifiants qu’il faut trouver l’essentiel. On dit :" tu vois telle porte à côté ? Ce n’est pas là. Ce n’est pas cette route-là. Tu donnes le dos". Finalement quand on dit quelqu’un, on dit : "Georges, sa maman s’appelait Bertine, qui avait épousé Justin, mais oui sa marraine c’était une telle" et finalement on n’est jamais seul, on est dans une galaxie de personnes qui vous identifient comme autant de racines rhizomes qui nous font exister. Nous sommes un espace rhizome. Mon premier racontage c’est ce que j’ai fait dans Marie la gracieuse. C’est un texte qui est écrit sans projet, sans plan qui nous oblige. C’est une main levée. Comme une racine rhizome.
Quand pensez-vous l'avoir terminé ?
Il avance bien. Pour parler en termes de fromages je dirais qu'il est en chambre de maturation. Je pense qu’il sera prêt pour le prochain Book Fair. Il faut toujours se donner une marge, même si c’est pour la dépasser.