11.07.2017

10 ans de la COM : retour sur un référendum historique

Samedi prochain, la collectivité de Saint-Martin célèbrera ses dix ans. Le 15 juillet 2007 voyait le jour la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin. À cette occasion, Soualigapost.com reviendra tout au long de la semaine sur ce changement statutaire, ce qu’il a permis et ses limites. Aujourd’hui, zoom sur la préparation et la mise en place du référendum du 7 décembre 2003 par lequel les Saint-Martinois ont réclamé le passage en Collectivité.

Depuis 1946, Saint-Martin était une commune du département de la Guadeloupe. Comme dans tous les autres départements et régions d’Outre-mer les lois et règlements de la République française s’y appliquaient de plein droit, selon l’article 73 de la Constitution française. L’éloignement géographique, historique et culturel a toujours remis en cause cet attachement administratif à la Guadeloupe et le statut communal de Saint-Martin. Un éloignement amplifié par l’installation tardive des services de l’Etat sur l’île (1963). D’avantage d’autonomie et d’indépendance étaient possibles grâce à l’article 74 de la Constitution de 1958 qui régit les Collectivités d’Outre-mer. Mais « la création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre-mer […] ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, [… ] le consentement des électeurs. » (selon l’article 73). D’où la nécessaire et fastidieuse mise en place d’un référendum pour décider si Saint-Martin devait rester une commune ou devenir une collectivité.

 

  • Le fruit d’un consensus

 

Ce référendum par lequel tout commence, est l’aboutissement de plusieurs années de réflexion et de débats. « La prise de conscience collective de l’inadaptation du statut communal de la partie française de l’île est relativement ancienne. Elle est directement issue des effets de la départementalisation de 1946 et du rattachement administratif à la Guadeloupe improprement qualifiée de « continentale » » écrit en 1998 Fabien Giraud, directeur de cabinet du maire Albert Flemming, dans la préface de l’ouvrage du Consensus populaire saint-martinois Objectif statut - Repères pour l’Espoir.

Selon lui, les élus saint-martinois perçoivent dès 1960 « le caractère artificiel et technocrate de cette solution institutionnelle dépourvue de toute justification géographique, historique ou culturelle, voire même de toute cohérence administrative ». Mais il faudra attendre les années 90 pour qu’une revendication statutaire soit clairement énoncée et argumentée. Le 15 octobre 1990, quelques jours après l’affaire dite « de la douane » le maire rassemble les leaders politiques, syndicaux et associatifs et naît l’association « Consensus Populaire Saint-Martinois » chargée d’étudier le changement de statut administratif. Le conseil municipal réclame dès le lendemain « un nouveau statut » qui permette notamment la clarification des franchises douanières et fiscales et le transfert de compétences au profit des autorités locales. Les travaux du Consensus sont publiés en 2002 dans l’ouvrage sus cité.

 

  • Au bout du tunnel, le référendum

 

Lorsqu’Albert Fleming revient des assises régionales des libertés locales qui se sont déroulées en Guadeloupe les 18 et 19 janvier 2003, en présence de la ministre de l’Outre-mer Brigitte Girardin, il estime que « les transferts de compétence seront bénéfiques, mais que l’évolution doit se faire par étapes » et considère « que la population devra être bien informée des nouvelles charges fiscales qui lui incomberont éventuellement avant de se prononcer à travers un référendum, prévu dans les sept mois qui viennent, et dont personne aujourd’hui ne connaît les termes »1

L’idée d’un référendum est amorcée. La ministre attend un dossier de la part des dirigeants locaux pour la fin février qui devra préciser les contours de l’évolution de Saint-Martin dans le cadre de la loi de décentralisation et revêtir un caractère consensuel. Dossier à partir duquel le gouvernement appréciera la nécessité d’un changement statutaire. Encore faut-il que les leaders des principaux groupes politiques locaux trouvent un accord.

 

  • L’union fait la force ?

 

À un mois de l’échéance, ils sont tous conscients de devoir accorder leurs violons pour justifier cette évolution. « Il faut mettre la politique de côté et se mettre d’accord pour présenter un projet à Brigitte Girardin » déclare Louis-Constant Fleming (USM)2. Toutefois l’union semble encore compliquée et les adversaires politiques d’Albert Fleming mettent en doute sa franchise à plusieurs reprises. Tandis que Louis Mussington (MAP) propose de former un comité chargé d’organiser une marche « de 3000 à 5000 personnes dans la rue pour que le gouvernement français sache que Saint-Martin veut changer de statut », la presse réunit les élus le 7 février autour d’une table ronde où le temps de chacun est strictement réglementé.

Trois jours plus tard, tous sont d’accord : selon eux, l’évolution statutaire de l’île doit se faire dans le cadre de l’article 743. « Nous allons devoir nous serrer la ceinture pendant dix ans, mais c’est le prix à payer pour notre liberté » déclare le maire à RFO. Albert Fleming, Jean-Luc Hamlet, Guillaume Arnell, Louis Mussington et Louis-Constant Fleming, les cinq principaux leaders, appellent la population à soutenir l’union qu’ils ont formée pour l’évolution statutaire en participant à la marche organisée le samedi 22 février. Au final, seuls 400 manifestants les rejoignent. « N’y-a-t-il vraiment que 400 personnes – soit 3% de l’électorat - qui se sentent concernées par l’évolution de l’île dans le cadre du projet de loi de décentralisation ? » interroge le Fax Info le 24 février 2003. Le 20 février, le conseil municipal, à une abstention près, a voté le projet d’évolution institutionnelle de Saint-Martin dans le cadre de l’article 74. Albert Fleming remet le document intitulé « Projet d’évolution institutionnelle à Saint-Martin » à la ministre de l’Outre-mer le 3 mars. Reste à définir quelles compétences les élus souhaitent voir transférer et de quelle manière elles seront financées.

 

  • Campagne pour un « oui » pour un « non »

 

Les politiques n’attendent pas le décret arrêtant la date et la question du référendum paru au journal officiel le 30 octobre 2003, pour faire campagne. La première réunion publique visant à informer la population sur les enjeux de l’évolution statutaire se tient le 28 mars et réunit seulement 80 personnes. Leaders politiques et socio professionnels expliquent que politologues et autres spécialistes du droit constitutionnel, administratif et fiscal sont en train de mener des études et de chiffrer les conséquences financières des transferts de compétences. Les résultats doivent être connus et publiés courant juin et serviront de base à l’élaboration de la loi organique.

Parmi ces spécialistes, Jacques Laburthe, consultant financier, et Bernard Castagnède, professeur de droit, présentent leur rapport le 28 juin. Julien Mérion, Fred Réno et Fred Deshayes, politologues fondateurs du CAGI (Centre d’Analyse Géopolitique et Internationale) ont exposé les possibilités offertes pour Saint-Martin par les nouvelles dispositions des articles 73 et 74 rénovés de la Constitution.

Jacques Laburthe prône une « égalisation fiscale » sans « pression fiscale supplémentaire » et recommande à la commune de mieux collecter les taxes directes.

Le 10 juillet, Albert Fleming remet à Brigitte Girardin la demande d’évolution institutionnelle de la commune, accompagné de Pierre Brangé, Daniel Gibbs, Louis Constant Fleming, Louis Mussington et Alex Richards. C’est sur le contenu de ces six pages que les électeurs seront appelés à s’exprimer avant la fin de l’année 2003.

Il faut encore que le conseil municipal vote le document d’orientation remis par la ministre. Mais conseillers municipaux et électeurs demandent plus d’informations. Un Comité de suivi doit être inauguré en face de La vie en Rose. Il se rendra dans les quartiers fin juillet afin d’expliquer la teneur du document. Le conseil municipal est repoussé au 31 juillet pour laisser le temps aux élus de s’informer. Le 18 septembre, un document explicatif présenté sous la forme d’un magazine à destination de la population est dévoilé aux élus par le comité. Il sera ensuite distribué à tous les électeurs.

Un mois plus tard, le maire annonce « C’est avec un véritable sentiment de satisfaction que nous avons appris la date retenue par le gouvernement concernant la consultation populaire dans le cadre du processus d’évolution statutaire. Ce sera le 7 décembre 2003 »4. Et il ajoute : « je vous ai souvent promis de vous donner des informations qui vous permettraient de mieux comprendre ce qu’est l’évolution statutaire, ce qu’est l’article 74, en quoi ce choix reste la seule solution valable pour une issue plus favorable et un développement plus harmonieux de notre communauté, pourquoi ce choix reste le seul garant d’une coopération plus approfondie avec la partie sud de l’île. Ce sera chose faite. A compter de la semaine prochaine, nous démarrons une grande campagne […] ». En plus des lettres du comité de suivi publiées chaque semaine dans le Week, Le Fax et Aujourd’hui depuis le 22 février, politiques et socioprofessionnels mènent une grande campagne pour le « oui » sur les radios et dans les quartiers.

L’opposition cherche également à se faire entendre. L’association Saint-Martin avenir et développement, présidée par Franck Viotty, invite Guy Carcassone professeur de droit public à Paris X qui estime : « l’article 74 c’est le pouvoir sans les moyens ». « On sait que les taxes indirectes sont extrêmement mal collectées à Saint-Martin et je vois mal pourquoi cela changerait »5 expose-t-il après avoir précisé qu’il était possible de se détacher de la Guadeloupe en restant dans l’article 73. Ce à quoi le comité de suivi répond : « toutes ses affirmations quant à notre évolution dans le cadre de l’article 73 sont imprécises, car il est impossible que Saint-Martin, dont la représentation au sein de la future assemblée unique de Guadeloupe serait minoritaire, puisse obtenir les modifications souhaitées car indispensables ». L’association commande une deuxième étude à un fiscaliste spécialiste des collectivités territoriales, Vincent Sallé, selon qui « le passage à l’article 74 génèrera soit une fiscalité locale plus importante, soit, si les fonds ne sont pas collectés, une réduction des prestations, notamment sociales, et du train de vie de la commune»6.

Cette campagne du « non », et les hésitations de certains membres du Conseil municipal poussent Albert Fleming à renoncer à son retrait politique, qu’il avait pourtant confirmé à maintes reprises dans la perspective de l’évolution statutaire. « Devant un tel danger je n’ai pas le droit de laisser passer l’opportunité qui nous est donnée de nous prononcer pour le « oui » en faveur du progrès et de la sauvegarde de l’avenir, au moment où le Gouvernement nous donne la possibilité de le faire. Le moment est historique. Je lance un appel solennel à me suivre dans le choix déterminant que j’ai fait de me prononcer pour le « oui » à un nouveau statut pour Saint-Martin »7 déclare-t-il fin novembre 2003.

 

  • Le jour J

Le 7 décembre 2003, 76,17 % des électeurs de Saint-Martin (4298 des 5643 suffrages exprimés pour 13 413 inscrits) votent « oui » à la question suivante : “Approuvez-vous le projet de création à Saint-Martin d’une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, se substituant à la Commune, au Département et à la Région, et dont le statut sera défini par une loi organique qui déterminera notamment les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ?”

 

Sources : nous avons effectué nos recherches aux Archives territoriales où ne sont conservées que les archives du Fax Info pour l'année 2003 qui nous intéressait.  (1 : Fax Info – 24 janvier 2003, 2 : Fax Info – 3 février 2003, 3 : Fax Info 10 février 2003, 4 : Fax Info - 14 octobre 2003, 5 : fax Info – 12 novembre 2003, 6 : Fax info – 1er décembre 2003, 7 : Fax Info – 24 novembre 2003). 

 

Photo extraite du Fax Info du 8 décembre 2003

Fanny Fontan
2 commentaires

Commentaires

Ha ! La belle affaire ! SEULS 30% des inscrits ont voté pour le changement de statut. C'est çà, la démocratie ?????
Dictature d'une poignée de nantis !

42% des inscrits si vous faites le calcul, M. MACRON a été élu président avec 43% des inscrits...
https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/el...(path)/presidentielle-2017/FE.html