28.04.2016

Fin du roaming : un choix politique ou économique

Supprimer les frais d’itinérance entre les outre-mer et la métropole est une décision plus compliquée que cela ne paraît. D’ordre politique ou économique.

Supprimer le surcoût des frais d’itinérance entre les territoires ultramarins et la métropole, l’intérêt de cette mesure est évident. Elle permet aux consommateurs de faire des économies et surtout, elle place les ultramarins sur un même pied d’égalité avec les métropolitains. C’est cet aspect que les politiques soulignent et mettent en avant pour rendre applicable la fin du roaming inscrite dans un projet de loi. Elle devait entrer en vigueur le 1er janvier dernier mais elle avait été reportée au 1er mai. Elle pourrait encore être reportée car son application soulève des interrogations d’ordre économique auxquelles toutes les réponses n’ont pas encore été apportées. Explications.

Comment fonctionnent les frais d’itinérance ?

Les territoires d’outre-mer et la métropole n’ont pas les mêmes réseaux de téléphonie mobile. Chaque territoire a ses propres opérateurs (certains sont implantés sur plusieurs zones comme aux Antilles-Guyane) qui construisent, exploitent et entretiennent leurs propres infrastructures. Si un client d’un opérateur A voyage, il va utiliser le réseau d’un autre opérateur (B) puisque A n’est pas présent. Cette utilisation génère des coûts, appelés frais d’itinérance ou roaming, qui sont facturés par B à A qui les répercute à son client. Ce principe est dénoncé depuis longtemps par les consommateurs ultramarins qui se voient facturer ces frais lorsqu’ils se rendent en métropole, c’est-à-dire dans un autre territoire français. Alors qu’un Parisien se rendant à Marseille, n’est pas sur-facturé. Dans un souci d’égalité, les politiques ultramarins ont réussi à faire inscrire la suppression de ces surcoûts dans une loi qui devait entrer en vigueur ce 1er mai, après avoir été reportée en janvier.

Que signifie la suppression des surcoût des frais d’itinérance ?

Les clients d’un opérateur A pourront voyager, utiliser le réseau de l’opérateur B et ainsi téléphoner sans surcoût. Et surtout, les consommateurs de Saint-Martin, Guadeloupe, Martinique, etc., auront la liberté et le choix de rompre leur contrat avec l’opérateur local et de souscrire à un nouveau forfait en métropole où les tarifs sont plus avantageux. Et ainsi profiter de ce forfait en outre-mer. Néanmoins, le projet de loi qui est en train d’être discuté, prévoit la fin du roaming uniquement pour les services voix et SMS ; les services de données (data) qui permettent l’usage d’internet, ne sont pas concernés par cette mesure. Autrement dit, même si le roaming est supprimé, un consommateur de Saint-Martin qui souhaite internet inclus dans son forfait, ne pourra pas souscrire à un forfait téléphone/internet en métropole pour en jouir pour le même prix ici. S’il l’utilise, il devra toujours payer des surcoûts.

Quelles sont les conséquences pour les opérateurs ?

La suppression des frais d’itinérance pour le consommateur ne signifie pas pour autant la suppression du coût d’utilisation du réseau par le consommateur. Lorsque le client de l’opérateur A voyagera et utilisera le réseau de l’opérateur B, les mêmes frais demeureront pour ce dernier qui les facturera à A (mais qui ne sera plus autorisé à les refacturer aux clients concernés). En plus de ses propres clients sur son réseau, B aura ceux de A et pourra aussi avoir ceux de C et de D, etc. En effet, en l’état, le projet de loi peut autoriser un opérateur (C ou D) à s’implanter et proposer des offres commerciales alléchantes sur le territoire de B sans y avoir de réseau.

Quelles sont les répercussions financières pour les opérateurs ?

La première conséquence sera pour les opérateurs ultramarins une perte de clients aux dépens de leurs concurrents métropolitains. Et à terme, des moyens insuffisants pour entretenir les réseaux locaux. Pour les opérateurs métropolitains, le gain de clients ne sera pas, à l’inverse, forcément bénéfique, assure l'Arcep. Car pour que ces nouveaux clients puissent bénéficier de leurs forfaits en outre-mer, les opérateurs métropolitains devront continuer à payer les frais d’itinérance aux opérateurs d’outre-mer et ces coûts ne seront pas compensés par le prix du forfait. L’Arcep a ainsi estimé à 7 euros par mois en moyenne ce surcoût pour un opérateur de métropole dans le cas d’une offre métropolitaine permanente en outre-mer. Si la moitié des consommateurs ultramarins, soit 1,1 million de clients, migraient vers une offre métropolitaine, «le supplément de coût de gros apporté par les opérateurs métropolitains serait de l’ordre de 100 millions d’euros par an».

Quelles sont les solutions pour téléphoner hors de son territoire sans surcoût et sans fragiliser les opérateurs ?

Pour bien faire comprendre la situation, l’Arcep avait fait la comparaison avec les réseaux de transports : si un Lyonnais achète une carte pour voyager gratuitement sur tout le réseau urbain de Lyon, il ne peut pas pour autant voyager gratuitement sur le réseau urbain de Nice. Sauf si les deux villes ont un accord gagnant-gagnant. Aussi l’Arcep préconise-t-elle des conditions à la suppression des surcoûts liés à l’itinérance. Comme c’est déjà le cas au niveau européen. En effet, ce même chantier est déjà initié par l’Europe qui a entamé une série de travaux pour que des mesures d’accompagnement soient prises en concertation avec les acteurs concernés. Notamment des mesures interdisant toute utilisation abusive ou normale des services d’itinérance (par exemple limiter à un certain nombre de jours l’usage d’un forfait métropolitain en outre-mer, ce qui est déjà le cas dans certains forfaits métropolitains) ainsi qu’une modification des tarifs réglementés de l’itinérance entre opérateurs. Actuellement l’Europe réfléchit aussi à comment réviser et harmoniser les tarifs d’itinérance entre les pays et leurs opérateurs.

La nouvelle réglementation européenne entrera en vigueur en juin 2017 et la France sera concernée. C’est pourquoi certains opérateurs ultramarins demandent d’attendre les décisions et tarifs que l’Europe imposera pour s’aligner dessus.

Dans cette attente, les politiques des outre-mer défendent le projet de loi afin d’entretenir leur popularité et veulent l’application de la mesure le plus rapidement possible. Ils dénoncent ainsi les lobbying des opérateurs.

Estelle Gasnet