13.06.2018

Décharge de St Maarten : " la situation est devenue hors de contrôle depuis Irma"

Entretien avec le directeur de la Sint Maarten Nature Foundation et vice-président de la Dutch Caribbean Nature Alliance.

Natif de l’île, Tadzio Bervoets, directeur de la Sint Maarten Nature Foundation, et vice-président de la Dutch Caribbean Nature Alliance, interpelle régulièrement le gouvernement de la partie hollandaise au sujet de la décharge où sont enfouis pêle-mêle tous les déchets de Sint Maarten. Il espère que la supervision par la banque mondiale des fonds alloués par les Pays Bas à la reconstruction permettra de faire de ce problème environnemental et sanitaire une priorité. Interview.

Depuis quand existe la décharge de Pond Island (Philipsburg) ?

La première décharge était située près du chemin que l’on prend pour aller aux piscines naturelles de Sint Maarten depuis Pointe Blanche. Là où on voit encore de la ferraille. Au milieu des années 70, lorsqu’il a créé la petite île sur l’étang salé (Great Salt pond) pour avoir plus de terre, le gouvernement de l’époque a décidé d’y installer la décharge.

Mais ensuite l’île a connu un boom touristique. Les élus n’ont pas pensé que la localisation n’était pas adaptée : une terre humide, au milieu de la capitale de la partie hollandaise, et entourée d’habitations. Ils l’ont installée là, sans vraiment réfléchir au problème que ça pourrait devenir et que c’est justement devenu. D’emblée, elle a été mal gérée. Qui plus est, Sint Maarten n’a jamais vraiment excellé dans tout ce qui est gestion des marchés publics, etc. Les intérêts personnels entrent toujours en jeu.

Puis en 1995 il y a eu Luis. Tous les débris de l’île ont atterri à la décharge, augmentant la hauteur du morne artificiel. On a d’ailleurs commencé à l’appeler Mont Luis.

Pourquoi brûle-t-elle constamment ?

A partir de ce moment, plutôt que d’établir un plan réaliste qui aurait pu aboutir à des solutions, la décharge a été laissée là. Plusieurs fois, pendant des années, il y a eu des discussions pour la déplacer, la remplacer par autre chose. Mais rien n’a jamais été fait.

Les déchets sont devenus de plus en plus importants mais sans gestion efficace, ni démarche de tri.

Comme tout va au même endroit dans la décharge, les réactions chimiques causées par la décomposition de tous les déchets entraînent des combustions internes.

Ce dont les gens ne se rendent pas compte c’est que la décharge est toujours en train de brûler. Ceux qui sont chargés de la gérer ne laissent pas le méthane s’échapper et ne font rien pour empêcher ces combustions. Donc dans un moment de sécheresse, ou lorsque le vent se lève, ou quand quelqu’un fait quelque chose de stupide comme de la soudure au-dessus de la poubelle, les flammes s’agrandissent à l’intérieur et le dessus prend feu. Voilà pourquoi il y a de gros nuages de fumée depuis une quinzaine d’années.

La situation est devenue hors de contrôle depuis Irma. Beaucoup de débris ont été apportés à la décharge. Lorsqu’elle est devenue problématique, ils les ont déplacés vers un deuxième site d’enfouissement : the Baby Dump, de l’autre côté de la route. La Baby Dump est concernée par les mêmes problèmes : mauvaise gestion, absence de tri…donc elle brûle elle aussi. De plus, les pneus sont stockés près des déchets. Quand la fumée est noire c’est généralement parce que les pneus sont aussi en train de brûler.

La Nature Foundation a, à plusieurs reprises, distribué des masques aux habitants lors des gros incendies à la décharge. Quelles autres actions avez-vous mené pour promouvoir une meilleure gestion des déchets ?

Nous avons décidé de distribuer des masques même s’ils ne stoppaient pas toutes les toxines mais nous voulions faire quelque chose. Les gens, les enfants circulent autour sans aucune protection. D’abord nous avons pris sur notre budget puis des particuliers ont fait des dons pour que nous puissions continuer à en acheter et les distribuer. Il y a même des fois où nous avons dû donner des masques à des policiers qui contrôlaient la circulation et n’avaient aucune protection non plus.

Ces dernières années, avec la Nature Foundation nous avons tiré la sonnette d’alarme en disant qu’il ne s’agit pas que de préoccupations environnementales. Nous avons une réserve marine établie, travaillons à la protection et à la restauration des espèces marines, etc. Mais tant qu’on ne trouve pas une solution pour la décharge, on ne peut pas parler véritablement de protection de la nature à Sint Maarten. Les produits chimiques s’écoulent dans l’étang qui, lui, rejoint la mer. Cela crée de mauvaises conditions de baignades à Great Bay, qui est pourtant la plage la plus fréquentée par les touristes, particulièrement des croisiéristes. Et sur les récifs, cela augmente le taux de métaux lourds dans les poissons, que nous finissons par manger…

Nous avons aussi tenté de faire comprendre à la population qu’il s’agit aussi d’une question de santé publique. Nous avons fait des sondages au cours desquels  nous avons interrogé les habitants pour savoir si les jours de grosses fumées ils avaient dû consulter un médecin. 70% d’entre eux nous ont répondu que oui, ils étaient déjà allés à l’hôpital pour des problèmes de santé tels que maux de tête, yeux irrités, toux…

Il y a quelques années, alors que l’étang était asséché, nous avons effectué des prélèvements dans la vase autour de la décharge. Nous les avons testés et ils se sont révélés positifs au cuivre, au zinc, au nickel, …des métaux lourds connus pour causer de sérieux problèmes de santé.

Ce que nous avons également entendu, de façon anecdotique et sans pouvoir encore le prouver, c’est que les personnes résidant autour de la décharge ont développé plus de problèmes de santé : cancers, problèmes respiratoires, des membranes muqueuses et des yeux…

Quelles sont les solutions ?

Il y a eu des solutions. Mais ces solutions n’ont jamais abouti. Après Irma, l’argent accordé par le gouvernement hollandais pour la reconstruction va être supervisé par la banque mondiale, ce qui signifie qu’il y avoir des audits, des contrôles financiers…Nous faisons tout pour qu’une partie de cet argent serve à la construction d’un nouveau système de gestion des déchets. Il faut vite trouver une solution. Il en existe plusieurs. Je sais qu’une étude est en cours pour savoir laquelle serait la plus appropriée et que des entreprises se préparent à se positionner lorsque l’offre de marché sera publiée. J’espère que cela va vite arriver. Comme je l’ai dit au gouvernement, il s’agit d’une haute priorité. Pas seulement parce que cela entache la capitale et que c’est la première chose que les croisiéristes voient à leur arrivée, mais aussi pour la santé de la population. Et pas seulement du côté hollandais car la fumée ne s’arrête pas à la frontière. Cela affecte aussi la partie française, surtout les dernières fois. C’est le plus gros problème environnemental auquel nous faisons face actuellement, des deux côtés. Malheureusement c’est du côté hollandais, mais j’espère que le gouvernement et la population de la partie française vont mettre la pression au gouvernement de Sint Maarten pour que quelque chose arrive. Cela touche toutes les parties de l’île : l’économie, l’environnement, la santé… Il faut arrêter de dire que c’est LA priorité, et en faire la priorité.

Par où faudrait-il commencer ?

Il faudrait déjà réaliser un vrai plan de gestion des déchets avec un programme de tri supporté par le gouvernement, et l’appliquer. C’est ce qui est le plus dur. Commencer par trouver une solution pour gérer les déchets existants puis réfléchir à un nouveau système. Il y a vingt ans on disait déjà que la décharge avait atteint ses limites et regardez où on est aujourd’hui.

J’étais très déçu que le projet de gestion commune des déchets avec la partie française échoue. Parce cela semble évident sur une île de cette taille que les deux parties travaillent ensemble. Comme il n’y a pas de contrôles côté hollandais, on se retrouve dans une situation où des camions de la partie française viennent vider leur chargement dans la décharge de Pond Island. Ce serait pertinent d’avoir une solution commune pour quelque chose qui affecte les deux côtés de l’île.

L’un des problèmes est que nous avons changé de gouvernement tous les six mois à un an depuis huit ans et à chaque fois les compagnies qui gèrent la décharge changent. Après l’avant dernière élection, les poubelles n’ont pas été ramassées pendant une semaine parce que personne ne savait vraiment quelle entreprise devait s’en charger. Et ceux qui étaient au courant qu’ils avaient obtenu le contrat n’avaient pas de camions-poubelles ! Alors on voyait des éboueurs en pick-up, ramasser les poubelles et les porter à la décharge. C’est fou ! Si on ne soulevait pas ce problème il ne se passerait rien. Et encore, j’ai peur, dans dix ans, de parler des mêmes problèmes qui ne seraient pas résolus.

(Photo d'archive)

Fanny Fontan
5 commentaires

Commentaires

Excellente interview. Cette situation est catastrophique.

Pour solutionner le problème, il suffit d'imiter ce qui se passe du côté hollandais...

euh... on parle déjà de ce qui se passe côté hollandais !

Oui, mais la justice est aveugle et Mr justice aussi ;)

Il faut arrêter de parler de friendly island, elle est pourrie, l'île ! Elle est polluée, elle pue le manque d'assainissement, elle est violente,les motos font des runs au risque de tuer des mômes dans les rues, les décibels inondent nos trottoirs, elle est sale parce que tout le monde se fiche des poubelles, et les eaux de baignade ne sont pas sûres ...
Que viennent donc faire les touristes chez nous ???