19.04.2016

Kazabrok, une ressourcerie guadeloupéenne

Franck Phazian est le fondateur de Kazabrok/Kazarecycle, une brocante sociale qui vend de l’électroménager et des meubles recyclés sur place. Tout en protégeant la planète, l’association guadeloupéenne permet à des jeunes d’accéder à l’emploi.

Comment avez-vous eu l’idée de créer Kazabrok ?

Suite à un long processus ! Il y a vingt ans, j’étais bénévole dans une autre association : un centre d’hébergement d’urgence de jour et de nuit. J’ai rencontré l’Abbé Pierre en 2002 pour l’inauguration d’Emmaüs Guadeloupe (qui n’existe plus aujourd’hui). Nous avons eu une grande discussion. Et quatre ans plus tard j’écrivais le projet de Kazabrok : « Kaza » comme la case antillaise et « brok » pour brocante. Lancé en 2007 ce projet a démarré comme Emmaüs : une brocante sociale et solidaire. Face au gaspillage extrême dans le département et à la montagne de déchets, j'ai monté une structure pour récupérer la matière et la réinjecter dans le marché de la vente tout en créant un système alternatif de consommation. Nos clients sont aussi bien des personnes en grande difficulté que des personnes sensibles au développement durable qui préfèrent acheter de l’occasion plutôt que du neuf. La dynamique première reste l’humain. L'idée était d'amener un système alternatif qui puisse créer des emplois pour les jeunes en difficulté. Faire de l’insertion économique.

Une ressourcerie est un centre de récupération, de valorisation et de revente. Quelles sont les différentes composantes de Kazabrok ?

Kazabrok est l'endroit où l’on expose ce qu’on met à la vente (le showroom), qui sert à financer l’atelier Kazarecycle : le chantier de réparation et de valorisation. Pour ne pas perdre le fil de la structure qui consiste en l’accompagnement à l’insertion et la solidarité nous avons créé Kazasocial, une action de suivi des personnes qui viennent (clients et employés).

Comment collectez-vous les DEEE (Déchets d’équipements électriques et électroniques) et les meubles que vous réparez et recyclez ? Nous effectuons deux types de récupération. Soit les gens viennent directement déposer les meubles ou appareils électroménagers dont ils veulent se débarrasser auprès de nos deux réceptionnistes. Soit ils prennent rendez-vous par téléphone et nous venons les récupérer à domicile avec un camion qui sillonne toute la Guadeloupe.

Vous avez également créé un atelier d’art. Qu’y faites-vous ?

Avec toute la matière stockée nous avons pu fabriquer plein de choses. Barbecues, bornes de tri sélectif, composteur… avec des tambours de machines à laver. Et même des cormans sur lesquels on a créé des récifs artificiels qui servent d’abris pour les poissons avec le béton (masse équilibrante) des machines à laver. La ressourcerie se développe là où il y a des besoins. Il faut observer et voir avec le réseau national des ressourceries pour trouver des idées. J’ai comme principe de trouver une solution avec deux problèmes. C’est ce que j’ai fait avec le gaspillage et la création d’emplois.

Qui compose votre équipe ?

Nous avons une équipe multi générationnelle. L’association emploie 12 personnes sur Kazabrok et 6 (bientôt 10) sur Kazarecycle. Ils ont différents types de contrats (emplois aidés, emplois d’avenir, adultes-relais…). Mon staff administratif a moins de trente ans. Mais l’équipe technique est plus mélangée. Nous accueillons aussi bien des mains de justice, des personnes en situation de handicap que des seniors en chômage longue durée, ou des jeunes qui viennent effectuer leurs TIG. Les seniors forment les jeunes aux métiers qui ont un peu disparu et qui sont essentiels à la réparation et au recyclage de l’électrotechnique, par exemple. En plus ils ont à la fois un vécu personnel et professionnel et s’avèrent une très bonne solution pour former des jeunes déstabilisés. Comme ils ont de l’expérience, les jeunes vont automatiquement les respecter et se mettre naturellement en situation d’apprenant. Certains jeunes sont rentrés en d’insertion et ressortent à 25 ans encadrants expérimentés. Ils viennent du même endroit que ceux qu’on veut aider et deviennent en quelque sorte des grands frères. Mon intérêt pour que l’association reste dans une système de développement durable est que ces jeunes-là prennent le relai : « vous avez été aidés, soyez des aidants ».

Qui recycle ?

Les jeunes de la structure, encadrés par des personnes qui ont de l’expérience. L’idée est de faire émerger des talents en tentant de bien les aiguiller vers les différents corps de métier : électrotechnique, tôlerie, réparation, ébénisterie, chaudronnerie, vente, tri sélectif, mécanique vélo, BTP…

Une telle structure est-elle rentable financièrement ?

Pour démarrer un tel projet il faut avoir les reins solides pour monter les dossiers et faire appel à tous les moyens de la société. Il faut également avoir le soutien de la Collectivité. Nous sommes situés sur les lieux de l’ancien aéroport et ne payons pas de loyer. La Collectivité nous a mis 7000m2 à disposition : une surface bétonnée sur laquelle il n’y avait qu’un petit cabanon. Nous avons construit notre structure à base de récup’ avec des containers, de la ferraille détournée… Une « éco structure » pour mettre en avant notre philosophie et démarrer à moindre frais. Le temps que le système se mette en route, nous avons accumulé des charges qui nous ont mises en difficulté. Nous avons subi un redressement judiciaire sur les deux structures qu’on a pu traverser grâce au soutien de notre équipe et aussi de la justice, avec laquelle nous travaillons. On a pu accéder au plan de sauvegarde et sommes désormais à jour de nos charges sociales et avons réussi à écumer nos dettes. Nous avons dû faire un redressement en interne en arrêtant certains contrats. C’est très fragile. Alors il faut bien maîtriser tous les dispositifs administratifs et d’aides. Et il faut être encadré. J’ai la chance d’avoir un conseil d’administration qui me soutient. J’ai beau être le créateur, je n’aurais pas réussi sans eux. Et il faut aussi des jeunes qui se prennent au jeu et qui changent. Le handicap c’est le turn-over. On est une passerelle pour que les jeunes puissent repartir dans la vie. Alors on passe deux ou trois ans à les former et quand ils partent il faut recommencer. Il faut être sûr de son socle, du noyau dur de l’équipe. Il faut les pérenniser, et pour ça, il faut pouvoir les payer avec un salaire décent.

De quelles subventions bénéficiez-vous ?

J’ai répondu à des appels à projets : contrat de ville, environnement (région Guadeloupe), Etat, Collectivité. Nous touchons entre 150 et 170 000 € par an en subventions et aides à l’emploi. Nous payons 40 000 € de charges sociales et gagnons entre 70 et 100 000 € de ventes. En 2015 nous avons subi les restrictions budgétaires de l’Etat sur l’aide aux salaires, mais aussi des promesses de subventions qui n’ont jamais eu lieu ainsi que des retards. Si la COM de Saint-Martin veut voir une ressourcerie elle doit jouer le jeu. Une association ne peut pas toute seule créer ce type de projet si elle n’est pas soutenue par la Collectivité ou les entreprises.

En 2014, vous déclariez recycler 1, 4 tonne de DEEE par mois…

C’est toujours le cas mais ça vacille un peu. Nous pourrions faire plus mais manquons de moyens. Et avons été fragilisés par les redressements judiciaires. Nous sommes sans cesse en train de regarder les euros. Cela nous oblige à être très prudents. Le moindre truc que l’on doit acheter doit être subventionné, aidé ou financé par une de nos opérations.

Quels sont vos projets ?

Trouver des partenaires, nous déployer. On peut imaginer un système de franchise comme Emmaüs. Pourquoi pas à Saint-Martin ? Si vous avez des porteurs de projet ils peuvent venir se former chez nous. On peut les aider à faire les dossiers et à monter la structure à la condition qu’ils portent notre nom. Protéger la planète tout en permettant aux jeunes d’accéder à l’emploi : toute cette expérience ne m’appartient pas, c’est pour la partager.

Fanny Fontan